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  • L'expédition de Balin, fils de Fundin.

    J'ai écrit un petit récit racontant l'expédition de Balin.
    Enjoy

    En l'an 2941 du Troisième Age, une nouvelle ère de prospérité s'annonça pour les Nains en Terre du Milieu. Smaug le Doré, usurpateur du Royaume de la Montagne Solitaire, avait été vaincu. La Bataille des Cinq Armées avait vu la défaite de Bolg, le seigneur des orques de Gundabad, et si le glorieux Thorïn Oakenshield et ses neveux Fili et Kili avaient perdu la vie au cours de cette bataille sanglante, Erebor redevenait le domaine des Nains, et Dáin, seigneur des Monts de Fer et descendant de Durïn I, devenait roi. De la compagnie de Thorïn Oakenshield, il ne restait que onze survivants : Balïn, Dwalïn, Ori, Dori, Nori, Bifur, Bofur, Bombur, Óin, Gloïn et le hobbit Bilbon Sacquet, qui avait joué un rôle primordial dans la reconquête de la Montagne Solitaire et sans qui l'expédition de Thorïn aurait tourné à l'échec. Après la victoire, ce dernier s'en retourna avec le magicien Gandalf vers sa confortable maison de Cul-de-Sac, dans la Comté, au-delà des Monts Brumeux. Les autres nains, quant à eux, goûtèrent à un repos bien mérité et devinrent de grands seigneurs à Erebor, tandis que les Longue-barbes de toute la Terre du Milieu retournaient à la terre de leurs ancêtres et redonnait à la Montagne Solitaire sa splendeur d'antan.
    Quelques années plus tard, le pays resplendissait. De la désolation de Smaug avait émergé une lande couverte de fleurs et d'oiseaux, qui étalait ses couleurs à perte de vue lorsqu'éclatait le printemps. La Montagne Solitaire était à nouveau peuplée de nains, heureux et travailleurs, qui reconstruisaient leur domaine si longtemps réduit à néant. La rivière charriait à nouveau de l'or, extrait des profondeurs de la montagne par les célèbres mineurs nains dont les prouesses sont chantées dans maints et maints poèmes. Le roi Bard, que l'on surnommait "Le Tueur de Dragons" car c'était lui qui avait abattu Smaug de sa flèche noire, avait reconstruit la cité de Dale, détruite par le dragon lorsqu'il s'empara d'Erebor, et, étant un descendant direct de Girion, seigneur de Dale, avait ceint la couronne royale et le deux royaumes de Dale et d'Erebor avaient de nouveau scellé leur amitié. Cette alliance fut consolidée par l'amitié de Thranduil, roi des Elfes, dont les guerriers avaient combattu aux côtés de Bard et des Nains et qui partageait avec eux la joie de la paix retrouvée. Les Terres Sauvages, après des décennies de destruction et de souffrance, retrouvaient enfin la paix.
    Un jour d'automne, en 2949, deux visiteurs se présentèrent à la porte de Cul-de-Sac, en Comté. Il s'agissait de Gandalf le magicien et de Balïn, qui rendaient visite à leur ancien compagnon de voyage, Bilbon Sacquet. Après lui avoir porté les nouvelles des Terres Sauvages, et prit le temps de faire quelques ronds de fumée, Gandalf et Balïn quittèrent le charmant trou de Bilbon Sacquet et prirent le chemin du retour. Au cours du voyage, Gandalf remarqua que Balïn semblait préoccupé.
    - Quelquechose vous tracasse, Balïn ? demanda le magicien.
    - Non, monsieur Gandalf, c'est juste que...
    - Quoi ? Qu'y a-t-il ?
    Tout en gardant sa pipe en bouche, Gandalf affichait lui aussi un air troublé devant le visage préoccupé du nain.
    - Je me demandais... Maintenant que notre peuple a retrouvé sa puissance d'antan...
    - Sa puissance d'antan ?
    - Oui. Nous avons vaincu un dragon, et triomphé des orques. Nous avons repris possession de l'Erebor.
    Le visage de Gandalf changea, et il s'exprima d'une voix plus grave.
    - Où voulez-vous en venir ?
    - Gandalf, j'ai vécu de très nombreuses années en exil. J'ai arpenté toutes les routes du nord de la Terre du Milieu. J'ai connu la misère, tout comme mon peuple l'a connue. Et maintenant, maintenant que nous avons repris possession de nos terres, je sens... je sens que quelquechose a changé. Nous ne sommes plus condamnés à vivre en parias, nous sommes désormais les maîtres de notre destinée. Nous ne connaîtrons plus jamais des temps troublés comme j'ai pu les connaître. Nous pouvons, et nous devons, reprendre ce qui nous appartient.
    - Mais vous avez repris l'Erebor, non ?
    Balïn se tourna vers le magicien, les yeux brillants d'une lueur grave.
    - Nous avons encore d'autres trésors en Terre du Milieu, Gandalf.
    - Balïn, vous ne pensez tout de même pas à...
    La discussion s'arrêta là. Gandalf avait compris ce que signifiaient les paroles de Balïn. L'éclair d'un instant, l'idée que l'esprit de Balïn aurait pu tourner à la folie lui traversa l'esprit. Mais il savait trop bien que le vieux nain était plus intelligent qu'il n'y paraissait, et que son idée, si folle qu'elle puisse paraître, n'était certainement pas le fruit d'une quelqueconque maladie.
    Balïn et Gandalf ne se parlèrent presque plus durant le reste du voyage. Alors que Gandalf restait assis, songeur, près du feu, à savourer les délices de l'herbe à pipe des Hobbits, Balïn, seul, observait la silhouette lointaine et floue des Monts Brumeux. Tandis qu'il restait de longues heures à contempler les cimes blanches des trois pics du Caradhras, du Celebdil et du Fanuidhol, il murmurait cette vieille chanson naine, qu'il avait sans doute apprise il y a bien longtemps, lorsqu'il était un jeune nain, et que ses aînés chantaient mélancoliquement leurs salles perdues du coeur de la montagne.

    Durïn le sage, père de notre race
    Sous les montagnes, près des pics de glace
    S'accroupit aux bords du Khelêd-Zaram
    Lac aux reflets purs tels une lame.

    Sous le ciel sombre et étoilé
    Durïn contempla la surface de l'eau glacée
    Il y vit sept étoiles briller au fond des flots
    Et une couronne scintiller au plus profond des eaux.

    Durïn suivit alors la Sirannon
    La rivière le mena devant la solide paroi des monts
    Et, comprenant que c'était la volonté divine
    Il se mit au travail et creusa ses mines.

    Les hommes l'appelèrent Dwarrowdelf, les elfes Hadhodrond
    La grande maison de Durïn eut plusieurs noms
    Mais nous la nommons d'un nom bien plus doux
    C'est avec amour que nous l'appelons Khazad-Dûm.

    Jamais elfe, homme ou nain
    Ne construisit pareil demeure de ses mains
    Des salles magistrales aux couloirs sans fin
    Une cité sous la roche – la maison de Durïn.

    Durïn vécut des siècles mais un jour
    La mort l'emporta pour toujours
    Et sous le règne de ses descendants
    Khazad-Dûm prospéra pendant longtemps.

    Mais la gloire est une fleur d'été
    Il vient un jour où elle doit se faner
    Car au coeur de la montagne s'éveilla
    L'ombre et la flamme, la pire horreur qui soit.

    Le monstre prit nos richesses et les mit à bas
    Il pénétra la cité et terrassa notre roi
    Durïn VI fut vaincu et c'est depuis ce jour de chagrin
    Que nous nommons la bête le Fléau de Durïn.

    Les nains s'enfuirent de la montagne maudite
    Et durent se résoudre à une déshonorante fuite
    Notre peuple décimé s'en alla vers le nord
    Et ainsi fonda Erebor.

    Khazad-Dûm nous fut arrachée
    Et les orques furent libres de la souiller
    Mais au fond de nous crépite un feu ardent
    Retourner à Khazad-Dûm et reforger le vrai-argent.


    Gandalf entendit les tristes paroles de ce chant antique de nombreuses fois durant le voyage, et il ne put s'empêcher de ressentir de la compassion envers le vieux nain à la longue barbe blanche qui répétait tristement ces vers douloureux.
    Il vint un jour où les deux compagnons durent se séparer. Tandis que Gandalf avait à faire au sud, Balïn s'en retournait à Erebor où vivaient ceux de sa race. C'est à Fondcombe que les deux amis se dirent au revoir.
    - Au revoir, Balïn fils de Fundïn. Les hommes de Beorn gardent maintenant le Haut Col, et vous n'aurez pas à passer par les sinistres geôles de Gobelinville pour passer les Montagnes désormais.
    - Bon voyage à vous aussi, Gandalf le gris. J'espère que nos chemins se croiseront de nouveau.
    - Transmettez mes plus sincères salutations au seigneur Dáin, ainsi qu'à Dwalïn, Gloïn, Óin et tous les autres.
    - Ce sera fait, Gandalf.
    C'est ici que leurs chemins se séparèrent. Gandalf chevaucha vers Minas Tirith, où le Gondor requérait son aide, tandis que Balïn allait une nouvelle fois traverser le Haut Col pour parvenir aux Terres Sauvages. Une fois les monts franchis, il fit une halte chez le seigneur Beorn, puis, escorté par des elfes qui gardaient l'orée de Vertbois-le-Grand, il séjourna quelque temps dans les cavernes de Thranduil avant de reprendre la route du Mont Solitaire.
    Pendant les mois qui suivirent, Balïn se montrait perturbé. Alors que tout le monde s'affairait nuit et jour à reconstruire la gloire passée des nains, Balïn semblait démoralisé. Nombreux étaient ceux qui pensaient qu'il se sentait simplement vieux, sa longue barbe blanche en témoignait, tandis que d'autres le soupçonnaient d'être tombé amoureux d'une dame naine déjà mariée, comme cela se voyait souvent chez les nains célibataires. Mais ces deux avis étaient tous deux erronés.
    Le vieux coeur de Balïn s'était serré lorsqu'il avait, accompagné de ses treize compagnons, aperçu la haute cime du Mont Solitaire. Il avait partagé avec eux l'exaltation de revenir là où il avait grandi et avait accueilli avec joie les nains qui revenaient vivre à Erebor. Il était tout simplement fier d'avoir retrouvé la maison de ses ancêtres.
    Mais il désirait désormais une toute autre chose. Il avait tenté d'expliquer cela à Gandalf, mais il s'attendait à une réaction négative de la part du magicien. Il lui semblait impossible d'ouvrir son coeur à qui que ce soit. Son frère, Dwalïn, était bien trop occupé à travailler pour rebâtir la cité. Ses compagnons de voyage étaient bien plus jeunes que lui et appréciaient bien trop la douce vie qui les attendait dans le Mont Solitaire. Mais un jour, il se décida à parler de ses projets à la seule personne qu'il considérait comme suffisament sage pour lui porter conseil. Il s'agissait du roi, Dáin.
    Balïn franchit la porte de la salle du trésor, et lorsqu'il le vit entrer, Dáin arbora un sourire enchanté.
    - Balïn, je suis heureux de te voir. Prends donc place à ma table, et partage mon repas.
    - Dáin était en train de noircir des pages de papier, tout en mangeant avec avidité.
    - J'ai beaucoup de travail, le commerce avec les hommes et les elfes est fructueux et j'ai beaucoup de livres de compte à compléter. C'est malheureux, mais il me faut rogner sur mes heures de repas.
    - Balïn prit place et regarda le roi dans les yeux.
    - Dáin, j'ai un projet important. Un projet d'une importance capitale.
    - Parle donc, mon ami. De quoi s'agit-il ?
    - Il s'agit... il s'agit d'un endroit où nous nous sommes rendus il y a longtemps. Un endroit où nous avons combattu. Un endroit où nous avons poussé des cris de joie et versé des larmes amères. Il s'agit d'un endroit où sont morts nos pères, et où reposent nos ancêtres.
    - Dáin reposa sa plume et leva les yeux vers le vieux nain dont le regard était devenu grave et déterminé. Il leva un sourcil, et sembla comprendre où voulait en venir Balïn.
    - Balïn, murmura-t-il.
    - Khazad-Dûm. Nous devons retourner à Khazad-Dûm.
    Les gardes qui étaient postés près de la porte de la salle du roi tremblèrent dans leurs armures de fer. Dáin les congédia d'un geste et leur intima de fermer la porte. Les deux nains se regardaient désormais dans le blanc des yeux, puis Dáin se leva et fit quelques pas.
    - Nous sommes suffisament forts, déclara Balïn. Nous en avons le pouvoir. Nous avons repris Erebor. Les présages ne le disaient-ils pas ? Le temps des nains est venu.
    - Les présages annonçaient la fin du Dragon, répondit Dáin, pas celle du Fléau de Durïn. Car il est toujours là, Balïn. Je vais te répéter ce que j'ai dit à Thraïn, après la bataille d'Azalnubizar. Lorsque j'ai vaincu Azog, j'ai vu au-delà des portes de de la Moria. Le Fléau est toujours là, tapi dans l'ombre. Un pouvoir autre que le nôtre doit s'élever avant que nous ne puissions retourner à Khazad-Dûm.
    - La bataille d'Azalnubizar a eu lieu il y a plus d'un siècle. Le Fléau est peut-être disparu, endormi, ou vaincu. Nous ne le savons pas.
    - Il n'y a pas que le Fléau. Nous avons vaincu les orques d'Azog à Azalnubizar, nous avons vaincu ceux de Bolg aux Cinq Armées, mais les orques sont une race imprévisible, vicieuse et maléfique. Qui sait s'ils n'infestent pas encore la Moria.
    - Mais il s'agit de la terre de nos ancêtres ! Encore combien de temps devront-nous souffrir de son viol perpétuel ?
    - Jusqu'à ce qu'un pouvoir autre que le nôtre s'élève et éclaire les ombres, Balïn.
    Balïn semblait désemparé, et Dáin marchait silencieusement, pensif.
    - De toutes façons, avec quelle armée comptais-tu reprendre la Moria ? Espérais-tu refaire Azalnubizar ? La moitié des nains de la Terre du Milieu a péri dans cette vallée. Tu ne trouveras jamais le moyen de forcer les Sept Clans à reprendre les armes contre la Moria. Ce n'est pas leur terre, et le souvenir des brasiers sur lesquels brûlaient nos morts est encore vivace. Quant à nous, nous sommes encore trop peu nombreux. Nous peinons déjà à rebâtir Erebor et à le repeupler. Non, nos nains ont bien mieux à faire ici.
    Balïn restait silencieux. Dáin s'approcha de lui et, passant son bras sur ses épaules, le mena vers la porte.
    - Profite donc de la paix retrouvée ici, Balïn. Khazad-Dûm est notre terre, mais Erebor est ton berceau. C'est ici que tu as grandi. Savoure la joie de retourner à la maison après de longues années d'absence et d'errance.
    - Mais... Khazad-Dum sera donc éternellement livrée aux profanateurs et aux créatures de la pire espèces ?
    - Tu ne peux qu'espérer vivre assez longtemps pour voir le Peuple de Durïn retourner à Khazad-Dûm. Ce jour arrivera, et nous pourrons fêter alors notre gloire retrouvée. Mais ce jour est encore loin et nous devons profiter de ce que nous avons retrouvé.

    Au cours des années qui suivirent, Balïn abandonna progressivement son ambition de retourner dans les grandes salles de la Moria. En tant que seigneur nain et membre de la famille royale, il participa, avec ses compagnons, à la reconstruction de la gloire d'Erebor. Ce fut un procédé long et fastidieux, fait de travail acharné, de commerce et de projets faramineux, mais aidés par les hommes et les elfes, ainsi que les nombreux nains qui s'en retournaient joyeusement à Erebor, ils menèrent à bien ce projet avec le sourire, et près de quarante ans plus tard, la Montagne Solitaire étincelait à l'horizon ; ses portes reconstruites étaient ouvertes à tous et l'amitié entre les hommes de Dale et les Nains était plus que fructueuse. Les grandes salles de la cité fourmillaient de Nains travailleurs ; les anciennes mines résonnaient des coups de pioche des mineurs affairés ; les joailleries étaient comblées de bijoutiers patients et dévoués et les chants des forgerons étaient rythmés par le son des marteaux. Balïn débordait de joie en voyant les grandes salles emplies d'or et de pierreries ; mais l'envie de revoir la Moria était toujours vivace en lui. Il gardait l'image qu'il en avait eu à Azalnubizar. Bien que les portes vomissaient un immonde flot d'orques sanguinaires armés jusqu'aux dents, ils se souvenait de portes majestueuses gravés dans le flanc de la montagne. Et désormais, la barbe tombant presque à ses pieds, il rêvait de revoir ces portes.
    Il avait fini par parler de la Moria à ses anciens compagnons de voyage. Au début, ils tentèrent de le dissuader, comme l'avait fait Dáin ; mais nombre d'entre eux étaient encore jeunes, et plein de témérité. Les paroles mélancoliques de Balïn à propos de Khazad-Dum avaient eu leur effet sur eux ; et certains d'entre eux, s'ils ne l'exprimaient pas ouvertement, partageait son ambition de retourner dans les salles de leurs ancêtres.
    Balïn se tourna alors vers Dáin et lui parla à nouveau de son projet. Dáin tenta de le dissuader une nouvelle fois, mais Balïn se montra plus convaincu que la dernière fois.
    - Nous sommes bien plus nombreux désormais. Nous sommes forts. Erebor est de nouveau remplie de nains. Ne penses-tu pas qu'il serait temps que Khazad-Dum le soit aussi ?
    Dáin ne répondait pas. Il était opposé à Balïn, mais dans son esprit, il pesait le pour et le contre, et cédait lentement aux demandes de Durïn.
    - Je ne suis pas le seul. D'autres désirent eux aussi voir Khazad-Dûm de leurs propres yeux. Je ne te demande pas la moitié du peuple d'Erebor. Je ne te demande qu'une petite expédition pour explorer le royaume de nos ancêtres. Que nous ne puissions le reprendre, soit. Mais il s'agit de notre terre, et nous ne pouvons rester sans nouvelles d'elle pendant aussi longtemps.
    Dáin baissa la tête, courbé sur ses livres. Il resta pensif un moment, puis leva les yeux.
    - Va, Balïn, fils de Fundïn. Assemble une expédition de deux cent nains. Si tu trouves assez de guerriers pour te suivre, je ne peux pas t'empêcher d'atteindre ton but. Que tu y trouves la gloire ou la mort, je te permets de te rendre à Khazad-Dûm.

    Balïn rassembla alors ses anciens compagnons de voyage, ceux qui avaient participé à la Compagnie de Thorïn Oakenshield. Tous avaient un peu vieilli et pris de l'embonpoint, sans parler de Bombur qui avait presque triplé de volume. Balïn leur parla de nouveau de la Moria, et leur annonça que le roi avait autorisé l'envoi d'une expédition, menée par Balïn, en direction de Khazad-Dûm. Balïn se tourna d'abord vers Dwalïn, son frère.
    - Je ne te suivrais pas, mon frère, déclara Dwalïn. Longtemps j'ai rêvé de retourner à Erebor. J'y suis parvenu. Je ne désire pas quitter la montagne. La Moria est le lieu de bien trop de mauvais souvenirs pour moi. Notre père y a péri, et je ne désire pas y retourner.
    Bofur, Bifur et Bombur s'exprimèrent également contre.
    - J'ai répondu présent à l'appel de Thorïn lorsqu'il nous a demandé de reprendre Erebor, déclara Bofur. J'étais jeune et j'avais soif d'aventure. Nous avons repris la Montagne. Nous sommes ici des seigneurs et les chants raconteront longtemps notre histoire. Je ne désire pas aller à Khazad-Dûm, Balïn. Je suis chez moi ici.
    Dori et Nori se levèrent.
    - Reprendre Erebor a été une entreprise longue et douloureuse, poursuivit Dori. Nous y avons laissé notre chef, Thorïn, qui repose désormais sous la montagne, et Fili et Kili, deux jeunes nains qui avaient toute leur vie devant eux y ont également laissé la vie. Nous ne nous risquerons pas à quitter Erebor pour la Moria.
    Ori restait silencieux. Óin se leva d'un bond.
    - Depuis ma plus jeune enfance, j'ai entendu des chansons et des poèmes sur la gloire de Khazad-Dûm. Erebor me plaît. Ce fut une joie de retrouver notre trésor si longtemps confisqué. Je suis vieux désormais. Mais dans mon coeur résonne encore ces chansons tristes et pourtant si douces. Nous te suivrons, Balïn, mon frère Gloïn et moi. Nous irons à Khazad-Dûm, reprendre le trésor de nos ancêtres, le trésor si longtemps oublié.
    Gloïn se leva à son tour.
    - Mon frère, je ne te suivrai pas. Moi aussi j'ai entendu ces chants lorsque j'étais enfant. Moi aussi, j'ai ardemment désiré retourner dans la Moria, découvrir ces mines creusées il y a de cela plusieurs âges. Mais je ne le peux. L'aventure qui nous a mené à Erebor nous a mené à la gloire, mais nous y avons laissé trois des plus glorieux nains de la lignée de Durïn. Je n'ai plus envie de quitter la Montagne. Et j'y ai également une famille. J'ai risqué ma vie plusieurs fois lors de cette aventure qui nous a mené à Erebor. Lorsque j'ai suivi Thorïn en quittant les Montagnes Bleues, j'y ai laissé mon fils, et j'ai plusieurs fois bien failli ne jamais le revoir. Maintenant que je suis vieux, je veux vivre ici et je veux regarder mon fils Gimli devenir un vaillant prince nain. Je ne veux pas risquer de ne plus le voir à nouveau.
    Óin et Gloïn se regardèrent un long moment. Óin prit son frère par les épaules.
    - Ta volonté est noble, mon frère, et je comprends des sentiments. Nous avons si longtemps voyagé ensemble, mais je comprends désormais que si je dois continuer à voyager, je le ferais seul.
    Óin s'approcha de Balïn, et d'un regard plein de déférence, déclara :
    - Je te suivrais, Balïn fils de Fundïn. Je te suivrais, mon cher cousin, où tu jugeras bon de me mener.
    C'est alors qu'Ori, qui était demeuré silencieux durant tout ce temps, se leva.
    - Je te suivrais, Balïn. Je suis jeune, sans beaucoup d'expérience, et on ne peut pas dire que je me sois particulièrement illustré durant le périple qui nous mena à Erebor. Mais je suis déterminé. Je ne suis ni le plus vaillant des guerriers ni le meilleur des nains. Mais je veux voir Khazad-Dûm. Je veux découvrir les grandes salles de mes ancêtres. Je te suivrais.
    Balïn contempla ses deux futurs compagnons. Son cousin Óin, un nain désormais très vieux mais toujours animé par le même esprit d'aventure, et Ori, un jeune nain sans expérience, mais héros de la compagnie de Thorïn. Ces deux héros, le jeune et le vieux, n'étaient pas rassasiés par les richesses qu'offrait la reconquête d'Erebor. Ils suivraient Balïn dans les gouffres les plus profonds de la Moria.
    Balïn se mit alors à recruter le reste des membres de son expédition parmi la population d'Erebor. De nombreux nains, avides d'aventure et galvanisés par la nouvelle richesse de la Montagne Solitaire rejoignèrent les rangs de l'expédition de Balïn. Les soixantes aventuriers furent rassemblés en peu de temps, et l'équipement nécessaire à l'expédition fut soigneusement préparé. Une fois que tout semblait fin prêt, Balïn jugea qu'il n'y avait aucune raison pour rester plus longtemps à Erebor. Lui et ses compagnons traversèrent le grand hall principal, devant toute une assemblée de nains qui célébraient le départ de la glorieuse expédition de Khazad-Dûm. Alors que Balïn marchait en tête du cortège, la tête haute, suivi de Óin et d'Ori, les hommes et les femmes nains qui les acclamaient scandaient avec ferveur le nom de "Khazad-Dûm !", "Khazad-Dûm !", "Khazad-Dûm !"
    Devant la porte attendaient Dáin, Gloïn et son fils Gimli, ainsi que Dori et Nori. Ces deux derniers embrassèrent tendrement leur frère Ori, et leurs yeux étaient baignés de larmes.
    - Qui sait si tu nous reviendras un jour en vie, mon frère ? Ici, il y a des fêtes et de la joie. Il n'y aura ni lumière ni rires là où tu te rends.
    - Je reviendrais, mes frères, non seulement en vie, mais les bras chargés de mithril et le nom de notre famille sera connu par les Sept Clans ! Je ne vais pas seulement reconquérir la Moria, mais je vais suivre suivre le même chemin emprunté il y a de cela des âges par notre père à tous.
    Gloïn et Óin s'embrassèrent longuement.
    - Au revoir, mon frère. Que les sombres salles de Khazad-Dûm s'illuminent à ton passage !
    - Au revoir, mon frère. Tu verras, le jour est venu pour nous de reprendre notre bien. Lorsque nous aurons repris notre royaume, tu viendras et tu pourras voir la splendeur des salles d'antan !
    Dáin s'approcha de Balïn. Il lui serra longuement la main, et le regarda d'un air grave.
    - Ton entreprise est folle, Balïn. Penses-tu vraiment reprendre la Moria des abominations qui y résident ?
    - Non seulement j'y parviendrais, mais la Moria sera de nouveau le domaine des nains, et de longues années de paix et de prospérité retrouvées s'écouleront lorsque Khazad-Dûm sera entre nos mains.
    - Puisse Mahal t'écouter, Balïn.
    Dáin enlaca longuement Balïn. Puis Balïn se retourna vers ses compagnons et déclara d'une voix forte :
    - Allons-y, braves nains. En route vers Khazad-Dûm.

    Le voyage fut long et éprouvant. A l'orée de Vertbois, ils furent escortés par des gardes forestiers elfes qui les menèrent au palais de Thranduil. Ce n'était pas ce que désirait Balïn ; s'il n'avait aucune rancoeur particulière contre les elfes, il n'appréciait pas l'idée de devoir rendre des comptes au roi Thranduil sur son expédition, car cela ne concernait pas les elfes.
    Lorsque Thranduil fut informé du but de l'expédition de Balïn (car Thranduil s'en doutait, soixante nains quittant Erebor pour partir vers l'ouest ne pouvaient que se rendre en Moria), il ne put s'empêcher d'offrir son conseil à Balïn.
    - Cela n'est pas prudent, maître nain.
    - C'est ce que le seigneur Elrond a dit lorsqu'il fut informé de notre volonté de reprendre Erebor à Smaug. Et pourtant nous y sommes parvenus.
    - Ce qui réside dans les profondeurs de Hadhodrond est bien pire que toute la malice de Smaug. Une malédiction sans âge est tapie au plus profond de la Moria.
    - Peut-être, mais la Moria est notre héritage, et nous ne pouvons la laisser souillée plus longtemps.
    Thranduil plongea son regard dans celui de Balïn, et y vit une détermination sans bornes. Il comprit qu'il ne pouvait raisonner le nain, pas plus qu'il ne pouvait lui interdire de poursuivre sa route.
    - Vous vous reposerez ici aussi longtemps que vous le voudrez. Lorsque vous désirerez partir, des gardes vous escorteront jusqu'à l'extrémité de la forêt. A partir de ce point, je ne pourrais plus rien pour vous.
    - Nous ne vous en demandons pas plus, seigneur Thranduil.
    Les nains restèrent quelques jours dans les cavernes de Thranduil, puis se mirent en route, accompagnés par des guides elfes. Lorsqu'ils furent arrivés à la lisière de la forêt, les crêtes enneigées des Monts Brumeux découpèrent leur forme millénaire dans le ciel. Les trois pics du Caradhras, du Celebdil et du Fanuidhol montaient haut vers les cieux et Balïn ne put s'empêcher de s'exclamer.
    - Khazad-Dûm ! Tes enfants te reviennent. Bientôt, les ténèbres seront illuminées ; et les salles si longtemps tombées dans l'oubli résonneront de chants et de rires nouveaux.

    Il séjournèrent ensuite chez Beorn ; et le seigneur de l'Anduin, bien qu'il fut suffisament sage pour deviner l'objectif de l'expédition des nains, ne leur parla ni des dangers de la Moria, ni de la folie de leur expédition. Avant qu'ils ne partent, il déclara seulement :
    Soyez prudents. Les montagnes sont traîtresses et là où se trouve la richesse dort encore la peur et la mort.

    Accompagnés par des guides béornides, les nains traversèrent le Carrock, puis longèrent la Lothlorien et arrivèrent non loin du Khelêd-Zaram. A ce moment-là, les béornides prirent congé et retournèrent au Carrock. Balïn et son expédition firent une halte sur les bords du Khelêd-Zaram, et tandis que les nains, fourbus, goûtaient un repos bien mérité, Balïn observait avec tendresse la Sirannon qui coulait depuis le flanc de la montagne.
    Dès le lendemain, les nains se dirigèrent, le coeur serré, en direction de la porte. Ils pénétraient dans la vallée d'Azalnubizar, où s'était déroulée la fameuse bataille où de nombreux seigneurs nains avaient péri, et où Azog était tombé. De nombreux tas de charbons étaient éparpillés ici et là, dernier vestige de l'immense brasier qui avait consumé les cadavres des nains tombés au combat, car il n'y avait pas assez de nains valides et de temps pour enterrer tous les guerriers. Au terme d'une longue marche, les nains parvinrent devant la grande porte. Un des battants était clos, l'autre était grand ouvert, et donnait sur une obscurité profonde et angoissante. Balïn se retourna vers ses compagnons, qui affichaient tous un visage décidé mais la peur se lisait dans leurs visages.
    - Faites des torches.
    Les nains allumèrent leurs torches et, en file indienne, ils pénétrèrent dans la Moria. Balïn leur rappela de nombreuses fois de marcher en file serrée, et de ne pas se perdre. Les soixante nains marchaient à la lueur des torches, qui ne leur faisait voir qu'une toute petite partie de la grotte. Ils ne distinguaient que le sol sur lequel ils marchaient, et quelques parois rocheuses. Ils pouvaient également voir les voûtes ouvragées sous lesquelles ils passaient, les dallages brisés et poussiéreux, et les gouffres noirs et sans fond qui s'étalaient de part et d'autre. Balïn marchait en tête, la torche à la main, et observait avec attention les quelques éléments qui se présentaient à lui. Des poteaux ouvragés, des ponts sculptés, des morceaux de statues brisés traînaient au sol.
    Les nains marchèrent pendant une bonne partie du jour. Balïn n'osait pas révéler à ses compagnons qu'il n'avait aucun plan de Khazad-Dûm, et savait qu'il fallait au moins quatre jours pour traverser la cité de part en part. Il avait pourtant un objectif : le grand hall.
    Vers le soir, alors que tous les hommes étaient fourbus croulaient sous leurs bagages, ils aperçurent une lueur au fond d'un couloir. Ils suivirent la lumière, et aboutirent au grand hall de Khazad-Dûm. C'était une immense salle, au plafond haut de plusieurs dizaines de mètres. Chaque dalle qui composait le sol était finement gravée et représentait des scènes de bataille où des nains terrassaient des orques à l'aide de haches et d'épées. Le plafond était solidement retenu par des piliers innombrables, d'une taille monumentale, à la base finement ouvragée et à la partie centrale lisse comme un fer fraîchement forgé. Leurs pas résonnaient dans la salle, qui semblait préservée de tout mal. La lumière qu'ils avaient aperçu provenait de larges ouvertures pratiquées dans le plafond et dans les murs, qui, grâce à un procédé ingénieux, inondaient le hall de lumière. Balïn ne put retenir une larme en voyant cette salle, témoin de la grandeur passée du royaume nain de Khazad-Dûm. Ils marchaient silencieusement, en examinant chaque recoin de la pièce, les nombreuses statues représentant les divers rois et les grands héros.
    Une pièce de petite taille était reliée au grand hall. Ori sortit un livre de son havresac, le feuilleta et déclara :
    - Il s'agit de Mazarbul, la salle des archives. Ici étaient consignés tous les documents de la cité.
    Balïn déambulait dans la salle. Elle n'était pas très grande, et tous les nains ne pouvaient pas y rentrer, d'autres étaient restés dans le grand hall. La pièce était composé d'une zone centrale où se trouvait diverses tables et objets de bibliothèques. Il y avait également un nombre important de squelettes de nains, recouverts de toile d'araignées et vêtus d'armures rouillées, serrant entre leurs doigts squelettiques les poignées de leur haches. Tout autour des murs, une marche haute d'un peu plus d'un mètre, accessible par escalier, donnait accès à des séries d'alcôves dans lesquelles croupissaient de vieux parchemins, certains tombé en poussière. Une ouverture dans le plafond laissait tomber un filet de lueur pure, qui se concentrait en plein centre de la pièce.
    - Nous établirons notre quartier général ici, proclama Balïn.
    Il observa tout autour de lui, puis se mit à donner des ordres.
    - Trouvez des balais et nettoyez moi cette salle ! Evacuez les squelettes, et creusez-leur des sépultures décentes dans la pierre ! Ori, récupère les parchemins encore utilisables, et classe-les ! Essaye de sauver ceux qui partent en poussière et débarasse-toi de ceux qui ne sont plus utilisables ! Montez vos tentes dans le grand hall, en attendant que nous trouvions des habitations utilisables !
    Sous ses injonctions, les nains se mirent à l'ouvrage, balayant, déplaçant, creusant, installant, triant, classant. Quelques temps plus tard, le campement des nains était prêt, et dans Mazarbul trônait Balïn, assis sur un bloc de pierre qui lui servait de trône, alors qu'Ori et ses acolytes étudiaient soigneusement les documents en leur présence.

    En quatre années, la petite colonie naine avait considérablement évolué. Balïn avait envoyé des équipes dans toutes les parties de la cité, et chaque fois qu'une équipe reprenait une salle, Ori conservait ces données dans un épais livre, qu'il avait emporté à son départ d'Erebor et dans lequel il consignait chaque étape de leur reconquête de la Moria. Balïn avait d'abord demandé aux nains de rechercher des entrepôts où des armes et des armures naines pouvaient être récupérés. Après quelques jours de recherche, ils découvrirent plusieurs équipements de mithril, dont un heame ailé, de nombreuses cottes de maille – ainsi qu'une immense hache à double tranchant. Cette arme fut rapportée à Balïn ; et à l'aide des sages connaissances d'Ori, il arriva à la conclusion qu'il s'agissait de la hache de Durïn. Il la prit pour lui et en fit le symbole de sa nouvelle royauté. Il fit graver sur un bloc de pierre son nom : "Balïn, fils de Fundïn, seigneur de la Moria".
    Mais les jours glorieux de la reconquête de la Moria n'allaient pas durer. Balïn s'était décidé à envoyer une équipe vers les bas-fonds de la cité, où se trouvaient les mines. Óin s'était porté volontaire pour mener cette expédition. Depuis quelques temps, il avait un étrange et mauvais pressentiment. Il n'arrivait pas à dormir. Il s'aventurait quelque fois dans la cité, seul, la hache à la ceinture, et il lui semblait entendre des bruits qu'il ne pouvait attribuait à une activité naine. Des murmures, des cris lointains, quelque fois les sons imperceptibles d'un tambour dans les profondeurs. Il n'osait pas en parler à Balïn ; depuis qu'il était entré en possession de la hache de Durïn, et qu'il avait ceint une couronne de mithril, il était excessivement enthousiaste et n'aurait accepté aucune idée négative. Il se décida à en parler à Ori. Lorsque Óin évoqua les bruits nocturnes, Ori le regarda avec effroi. Óin comprit alors qu'Ori aussi ne parvenait pas à trouver le sommeil, et qu'il avait aussi entendu les cris, les murmures, et les tambours dans les profondeurs.
    L'équipe d'exploration, menée par Óin, s'avança alors dans l'obscurité, empruntant des escaliers sans fin descendant encore plus loin au coeur de la montagne. Alors qu'ils marchaient, la torche à la main, Óin entendit un bruit. D'un geste prompt de la main, il fit stopper ses compagnons, et tous scrutèrent avec anxiété les ténèbres. Lentement et sans bruit, Óin empoigna sa hache. Les autres comprirent et saisirent leurs épées. Grande était leur peur ; car en plus de sentir une présence hostile, ils ne voyaient strictement rien. Soudain, Óin sentit son sang se glacer, car en face de lui toutes les angoisses sans visage qui avaient torturé ses nuits se matérialisèrent. Deux yeux pervers, brillants d'une lueur malsaine dans l'obscurité. Un abominable bruit de déglution, suivi d'un pas lourd et maladroit, puis de l'éclat d'une lame sale. Les yeux de Óin s'habituèrent à l'obscurité, et, grâce à la lueur vacillante de la torche, il contempla l'immonde orque qui se tenait en face de lui. La peau verdâtre et huileuse, les oreilles pointues et déchirées, les cheveux noirs épars qui tombaient sans grâce sur des épaules tordues ; les yeux globuleux et énormes, habitués à vivre longtemps dans l'obscurité totale ; un nez retroussé et humant sans cesse l'air désormé vicié et oppressant. Le corps mal conçu, les jambes mal équilibrées et traînant lamentablement dans une démarche boiteuse ; des rangées de dents jaunies et sales, qui dégoulinaient de salive et s'agitaient d'une faim répugnante ; et ce corps maigre et ignomineux était enchâssé dans des morceaux d'armures disloquées, sans doute pillées dans les entrepôts de la Moria. Les mains squelettiques empoignaient un cimeterre sale et suintant ; et un bouclier hérissé de pointes complétait l'équipement de la créature. Óin revint à lui, et dans un cri héroïque, chargea vif comme l'éclair et abattit sa hache dans le visage de l'orque, qui fut pris complètement au dépourvu et dont le crâne éclata dans un bruit infâme. Quelques instants après que Óin ait abattu l'orque, les torches des autres nains révélèrent la présence d'innombrables autres orques, qui cavalèrent dans les tunnels en direction des nains. Óin les regarda approcher, puis, empoignant sa hache encore dégoulinante, il hurla à ses équipiers :
    - Aux aaaaaarmes !
    Les nains dégainèrent leurs épées et se placèrent en ligne, Óin à leur tête. A l'approche des orques, Óin chargea en hurlant, suivi de ses compagnons. Tout en courant, leurs armes brandies, ils hurlèrent une nouvelle fois le cri de guerre des nains :
    - Baruk Khazad ! Khazad ai-menu !
    Le choc fut d'une violence inouïe. Dans l'étroit tunnel, les armes des nains brisèrent les armures et les boucliers des orques, et dans la mêlée qui suivit, les guerriers de Óin, vétérans des cinq armées comme lui, massacrèrent les orques qui se tenaient devant eux. Mais il arriva un moment où Óin jugea leur nombre trop important. Il hurla "Retraite !", et lui et ses hommes se mirent à courir en direction des escaliers. Les orques hurlèrent des ordres dans leur langue abominable et, juchés sur leurs petites pattes, ils se mirent à courir sur leurs talons des nains. Ces derniers montaient les marches quatre à quatre ; et alors qu'ils pensait distancer les orques, Óin vit le guerrier à sa droite recevoir une flèche dans le dos, s'effondrer au sol dans un râle et chuter dans le vide qui entourait les escaliers. Les orques tiraient des flèches sur les nains ; et trois autres guerriers furent abattus avant que Óin et les survivants de son équipe soient arrivés hors de portée des arcs orques.
    L'arrivée de Óin, suant à grosses gouttes, la cape, l'armure et la hache maculée de sang sombre et avec quatre guerriers de moins provoqua une vive émulation parmi la colonie. Le visage de Balïn se décomposa en voyant Óin proclamer :
    - Il y a des orques dans la Moria. Beaucoup, beaucoup d'orques.
    Des gardes arrivèrent alors en courant, informant que les orques gravissaient les escaliers en direction de la grande salle. Balïn saisit sa hache et exhorta tous ses nains à prendre leurs armes et à défendre la salle. La bataille fut rude, mais le courage des nains l'emporta, et les orques furent massacrés. Même Ori prit part au combat, et Balïn combattit en première ligne, la hache de Durïn et son double tranchait faisait éclater les têtes des orques.
    La bataille avait été éprouvante, mais de courte durée. Il ne s'agissait que d'une toute petite force d'orques, et les pertes chez les nains avaient été faibles. Mais dès ce jour, le quotidien de la colonie changea du tout au tout.
    Les petites équipes d'exploration laissèrent la place à des forces de nains bardés de métal qui reprenait centimètre par centimètre les salles occupées par les orques. Les orques remontaient des profondeurs des mines, et infestaient les étages supérieurs où s'étaient installés les nains. Ecraser les orques dans des salles étroites n'était pas un si grand défi pour des nains armés jusqu'aux dents ; mais Balïn était désormais rongé par la peur ; car ce n'était pas les orques qu'il redoutait désormais, mais il se souvenait amèrement des paroles de Dáin : "Le Fléau est toujours là, tapi dans l'ombre."
    Dans l'ombre. L'ombre et la flamme. Au silence de la cité et à l'extase des nains redécouvrant les salles de leurs ancêtres avait succédé les nuits de peur rythmées au son des effroyables tambours orques, et le grand hall que continuaient à tenir désespérément les nains s'apparentait de plus en plus à un tombeau qu'à une salle de réjouissances.
    Vers l'automne de l'année 2994, les attaques des orques devinrent moins fréquentes, et les nains purent respirer un peu. Car s'ils ne fléchissaient pas sous les assauts des orques, les combats quotidiens les épuisaient, moralement et physiquement. C'est le dixième jour de novembre que Balïn retourna à l'entrée est de la Moria, sortit dans la vallée et s'approcha du Khelêd-Zaram. Il resta de longues heures devant le lac, pensif, et il ne remarqua pasl'orque qui, à la tombée de la nuit, fureta à quelques mètres de lui et se cacha derrière un buisson. Ori, resté à l'intérieur, avait remarqué l'absence de Balïn et avait deviné qu'il s'était rendu près du Khelêd-Zaram. Accompagné de quelques guerriers, il était lui aussi retourné à l'entrée est de la Moria et courut en direction de Balïn, accroupi au bord du lac. Mais il arriva trop tard, et l'orque qui s'était discrètement approché du seigneur de la Moria décocha sa flèche qui se ficha en plein dans les côtes du vieux nain. Ori et ses guerriers le tuèrent aussitôt ; mais alors qu'Ori tenait Balïn dans ses bras et s'apprêtait à le ramener à la colonie, le seigneur de la Moria rendit l'âme. La flèche lui avait transpercé les deux poumons et le coeur. Ori ramena silencieusement le cadavre du noble nain, et lorsqu'il fut arrivé au grand hall où les survivants soignaient les blessés, il se dirigea en direction de la salle de Mazarbul et, en quelques jours, creusa dans un bloc de pierre blanche un tombeau où il plaça le corps de Balïn. Sur le couvercle, il fixa la plaque que Balïn fit graver lorsqu'il trouva la hache de Durïn, et au-dessus de l'inscription, il rajouta la mention "Ci-gît" ; et ainsi sur le tombeau était inscrit en Angerthas Moria "Ci-gît Balïn, fils de Fundïn, seigneur de la Moria". Le tombeau fut placé au centre de la salle, de sorte que le faisceau de lumière illumine le pierre blanche et l'épitaphe du dernier seigneur de Khazad-Dûm. Puis, les yeux humides et les larmes coulant sur ses joues rouges, Ori prit sa plume et écrivit dans l'épais livre : "Hier, le dixième jour de Novembre, Balïn seigneur de la Moria, est tombé dans la vallée des rigoles sombres".

    Sans Balïn, la situation de la colonie empira de jour en jour. Des nains tombaient de plus en plus nombreux ; des disputes éclataient ; des salles glorieusement défendues tombaient entre les mains des orques ; et de temps en temps, un hurlement abominable, qui n'était en aucun cas comparable aux cris aiguës des orques, émergeait des profondeurs.
    Un jour, Óin partit avec quelques hommes en direction de la porte ouest. Óin et Ori avaient décidé qu'il était impossible de rester plus longtemps dans la Moria. Le seul pont qui menait à la porte est avait été repris par les orques, et Óin et Ori espéraient que l'accès à la porte ouest soit libre. Après un voyage de quatre jours, Óin et ses guerriers parvinrent à la porte ouest et l'ouvrirent. Un large étang bordait les portes ; et bien que l'eau touchait les pieds de Óin, ce dernier en conclut avec satisfaction que la fuite était possible. Alors qu'il s'apprêtait à rebrousser chemin pour informer Ori de la possibilité de s'enfuir, son tibia fut soudainement enlacé par une substance dure et visqueuse. Ses guerriers hurlèrent de terreur en voyant une tentacule sortie de l'eau tirer Óin en direction de l'étang sombre qui s'étendait en face de la porte ouest. Óin dégaina son couteau et tenta désespérément d'entamer la chair de la créature qui l'attirait vers l'eau ; car la tête hideuse de la créature émergea de l'étang, et il s'agissait d'une bête monstrueuse, qui s'apparentait à une pieuvre, et dont les tentacules frappaient sans pitié Óin pour qu'il cesse de se défendre. Les guerriers équipés d'arcs tirent quelques flèches en direction de la créature , mais ce fut sans succès, et sous les yeux de ses propres hommes, Óin eut le bras arraché par une tentacule, et dans un râle de douleur, il disparut dans l'eau sombre de l'étang.
    Les nains terrorisés retournèrent en courant à la grande salle, et racontèrent tout ce qu'ils virent à Ori ; et l'un d'eux avait récupéré le couteau de Óin. Ori fut abattu en apprenant la nouvelle ; et il savait désormais que le sort de l'expédition de Balïn était scellé. Le coeur lourd, il écrivit dans son livre "Le guetteur de l'eau a pris Óin".
    La suite fut funeste. De nombreux nains périrent en défendant les quelques salles qu'ils possédaient encore ; et Ori prit la décision d'abandonner toutes les salles et de confiner tout le monde dans la salle de Mazarbul. Là, pendant les quelques jours qui lui restaient à vivre, Ori, assis contre le tombeau de Balïn, noircit les dernières pages de son livre. Le bruit omniprésent des tambours altéra son esprit ; et il écrivait sans relâche "Les tambours. Les tambours dans les profondeurs". Il écrivait sans cesse "Nous ne pouvons plus sortir". Ori entendait non seulement les tambours orques qui battaient sans cesse, mais il entendait également le pas lourd et les cris abominables d'un mal encore plus puissant. Il n'avait même pas besoin de l'entendre ; il sentait sa présence au plus profond de son corps.
    Lorsque les vieilles portes de Mazarbul craquèrent sous la pression des orques qui tentaient de l'enfoncer en poussant des cris abominables, tous les nains survivants saisirent leurs haches et se tinrent prêts, déterminés à mourir l'arme à la main. Alors que les bruits du bois qui éclaitait petit à petit faisait trembler les coeurs des nains, Ori, tremblant de peur et les larmes aux yeux, écrivait machinalement, sans s'arrêter : "Nous ne pouvons plus sortir. Nous ne pouvons plus sortir. Nous ne pouvons plus sortir".
    La vieille porte céda et les orques se déversèrent dans la salle en poussant des cris horribles. Derrière eux, une silhouette monumentale, aux yeux brûlants d'un feu irréel, s'approchait lentement. Un fouet embrasé claqua, et une lueur infernale se déversa dans la grande salle.
    Les larmes coulèrent sur les joues d'Ori, et il écrivit, en tengwar cette fois-ci, ses derniers mots : "Ils arrivent."
    Dernière modification par sombrero-démoniaque, 30-12-2012, 14h05.

  • #2
    C'est génial *_* encore stp

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    • #3
      Sacré texte, j'ai adoré.

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      • #4
        +1 de rep !

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        • #5
          Merci bien !
          Il n'y aura pas de suite, bien entendu, tous les membres sont morts ;D
          Mais j'essaierai de faire d'autres récits sur d'autres sujets.

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          • #6
            Un super texte très bien fait !

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            • #7
              A tout hasard, je précise que le petit poème nain est de moi

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              • #8
                Tu mériterais donc 2 points de rep, et pas 1.

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                • #9
                  Hahaha Merci, c'est sympa.

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                  • #10
                    Le poème est magnifique...
                    On peut même le chanter avec l'air de la chanson des nains dans Le Hobbit ("Loin au delà, des montagnes embrumées,...")

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                    • #11
                      J'avoue que j'avais l'air de la musique dans la tête quand je l'ai écrit

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                      • #12
                        Texte magnifique, bravo à toi !
                        On en redemande ?

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                        • #13
                          Ca arrive, ça arrive !

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                          • #14
                            Ton poème est d'enfer . Bravo à toi .

                            Commentaire


                            • #15
                              Thank you bro

                              Commentaire

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