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  • Grec, arabe, européen, A propos d’une polémique récente par Rémi Brague

    Commençons par rappeler les faits : Sylvain Gouguenheim, agrégé d’histoire, docteur ès-lettres, professeur d’histoire médiévale à l’École Normale Supérieure de Lyon (ex-Saint-Cloud), auteur de plusieurs ouvrages : sur Hildegarde de Bingen, sur les « terreurs de l’an Mil », sur les chevaliers teutoniques, publie en mars 2008 un livre dont le thème général est la transmission de l’héritage intellectuel de la Grèce à l’Europe médiévale[1]. La thèse est que l’essentiel de cette transmission s’est effectué directement, ce qui tend à réduire le rôle de la médiation arabe.

    Le livre a suscité un scandale inaccoutumé. Il a débordé le milieu assez restreint des gens compétents. La polémique a dérapé vers des procédés inhabituels entre universitaires, pour lesquels l’arme absolue ne va pas plus loin, à l’accoutumée, que l’éreintement dans une revue spécialisée[2]. En l’occurrence, des manifestes furent publiés dans la presse et l’on fit circuler des pétitions.

    J’aimerais ici, d’abord, présenter quelques observations sur les phénomènes qui me semblent avoir rendu possible une telle querelle. Puis, je traiterai sommairement la question du rôle de la culture arabe dans la formation de l’Europe intellectuelle.


    Pourquoi le scandale ?

    Université et médias

    Spoiler:
    Le premier problème me semble être celui de l’articulation du savoir universitaire sur le discours médiatique.

    La polémique est partie d’une recension parue dans Le Monde du 4 avril. Son auteur, Roger-Pol Droit, le chroniqueur philosophique habituel du journal, y présente le livre comme opérant une révolution totale : on croyait jusqu’alors que l’Europe devait tout au monde arabe ; on sait désormais qu’elle ne lui doit rien. Le langage médiatique rabote les nuances et traduit en binaire (tout/rien, bien/mal, etc.). Hegel disait que la philosophie peignait gris sur gris. Il en est de même des petits bouts d’ivoire que polissent les historiens. Les médias, eux, brossent leurs fresques en noir et blanc.

    Des manifestes parurent donc, qui évoquaient l’article, sans en nommer l’auteur, et s’attaquaient au livre de S. Gouguenheim. Parmi les signataires, on trouvait des historiens unanimement reconnus dans l’étude de la question. D’autres étaient médiévistes, mais s’occupaient d’autres domaines. Certains, peu nombreux il est vrai, ne connaissaient à peu près rien au Moyen Age. En ce qui me concerne, je me suis abstenu de toute réaction positive ou négative, tout simplement parce que j’étais à l’étranger et n’avais pas encore pu me procurer le livre. On chuchote que certains signataires n’auraient pas eu ce scrupule…

    Certaines critiques étaient tout à fait courtoises. On signala des erreurs de fait, des interprétations tendancieuses, une bibliographie incomplète et datée. Tous arguments recevables dans une discussion scientifique de bon ton.

    Malheureusement, on lut et entendit aussi des amalgames peu compréhensibles. On mentionna pêle-mêle l’immigration, les discours du Pape, on cria au « racisme » et à l’« islamophobie ».


    Une intelligentsia cloisonnée

    Spoiler:
    Le second problème est celui de la structure de l’intelligentsia française. Elle souffre d’un manque de communication entre les chercheurs du CNRS, de l’Université ou des autres établissements d’enseignement supérieur, d’une part, et le grand public, d’autre part. Bien des chercheurs ne publient que dans des revues spécialisées qui ne sont guère lues que par leurs collègues. Certains auraient l’impression de déroger, ou tout simplement de perdre leur temps, s’ils écrivaient pour un public moins restreint. Ceux qui vulgarisent ne sont pas toujours regardés avec beaucoup de bienveillance par ceux qui s’en abstiennent.

    Le résultat de ce divorce entre spécialistes et médias est que le marché du prêt-à-penser est entre les mains de gens fort peu compétents, dont personne ne prend soin de rectifier les allégations quand c’est nécessaire. D’où la présence sur ledit marché de plusieurs légendes, au gré des modes.

    Les gens compétents ont raison de dire que ce que S. Gouguenheim a écrit, « tout le monde le savait déjà ». C’est exact si l’on prend « tout le monde » au sens où l’on parle du « tout-Paris », ce qui veut dire, dans les deux cas, quelques dizaines de personnes. Si en revanche, on pense au non-spécialiste qui cherche à s’informer dans la presse ou dans les médias, force est de constater que la légende qui y domine actuellement, « la thèse la plus médiatisée » (AMSM, p. 14), est bien celle contre laquelle s’élève S. Gouguenheim, lequel ne prétend pas faire plus que « donner à un public aussi large que possible […] des éléments d’information et de comparaison issus des travaux de spécialistes, souvent peu médiatisés » (AMSM, p. 10).

    On peut regretter qu’il ne soit pas sur ces questions le meilleur spécialiste dont on puisse rêver. Mais pourquoi les spécialistes lui ont-ils laissé la tâche désagréable de rectifier le tir ? Et pourquoi abandonnent-ils le terrain à des ignorants, des menteurs et/ou des propagandistes ?


    La légende à la mode

    Spoiler:
    Qu’il existe une telle légende constitue le troisième des problèmes que j’ai mentionnés. On peut la décrire à grands traits, telle qu’on la rencontre dans de larges secteurs des médias. L’idée générale est que, au Moyen Age, ce qui s’appelle aujourd’hui l’Europe, la chrétienté latine, si l’on préfère, était plongée dans une obscurité profonde. L’Église catholique y faisait régner la terreur. En revanche, le monde islamique était le théâtre d’une large tolérance. Musulmans, juifs et chrétiens y vivaient en harmonie. Tous cultivaient la science et la philosophie. Au xiie siècle, la lumière du savoir grec traduit en arabe passa d’Islam en Europe. Avec elle, c’était la rationalité qui y rentrait, permettant, voire provoquant la Renaissance, puis les Lumières.

    Il est clair qu’aucun de ceux qui ont étudié les faits d’un peu près ne soutient une telle caricature. Il est clair aussi que ceux qui la rejettent le font soit pour de bonnes raisons, liées à un savoir plus exact, soit pour des raisons beaucoup moins avouables, comme le préjugé selon lequel les Arabes auraient de toute façon toujours été incapables de science ou de philosophie… Je suis payé (au sens propre) pour savoir que c’est on ne peut plus faux.

    On a en tout cas un peu vite fait de dire que S. Gouguenheim s’en prendrait à des moulins à vent, que « personne » n’adhèrerait à la légende rose que j’ai dite. Car, encore une fois, si l’on veut dire : personne parmi les spécialistes, la cause est entendue. Si l’on veut dire en revanche : personne parmi ceux qui font l’opinion, on se trompe lourdement.


    Un exemple : Sylvestre II

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    Comme exemple, ce discours du roi du Maroc prononcé à l’occasion de l’ouverture du festival de musique sacrée de Fez[3]. On y explique que Gerbert d’Aurillac, le futur Pape Sylvestre II (mort en 1003) a tiré le savoir mathématique qui faisait l’admiration de ses contemporains de ses études à l’Université de Fez.

    On suppose donc que : 1) la Qarawiyin (fondée en 859) était une université au sens européen de ce terme et non simplement une mosquée « générale » (jâmi‘a), mot qui en est venu à désigner une université dans le monde arabe contemporain ; 2) on y enseignait non seulement l’exégèse coranique, les traditions sur le prophète et le droit islamique (fiqh), mais aussi les sciences profanes, dont les mathématiques—et pas seulement ce qu’il faut pour calculer la direction de La Mecque ; 3) un chrétien venu d’Europe était le bienvenu à Fez où il pouvait séjourner en toute sécurité[4] ; 4) Gerbert avait appris assez d’arabe pour suivre un enseignement supérieur dans cette langue[5].

    Bien sûr, les gens compétents ont devant de telles sornettes le sourire distingué de la supériorité. Et ils me demanderont s’il était bien nécessaire d’épingler ainsi le malheureux écrivaillon qui a pondu ce laïus. Mais est-ce eux qui lisent les dépliants des agences de voyages ? Est-ce à eux que les guides serinent sur place de telles contrevérités ? Est-ce eux qui regardent la télévision ? Faut-il laisser à la merci du faux les braves gens tout prêts à apprendre ?

    Et que faire lorsque des hommes politiques, des décideurs au plus haut niveau, sur les deux rives de la Méditerranée, s’en laissent accroire par ceux qui les conseillent ou rédigent leurs discours ?


    La maison de la sagesse

    Spoiler:
    Il me faut mentionner ici un second exemple, tant il est répandu. C’est celui de la « maison de la sagesse » (bayt al-hikma) de Bagdad. La légende y voit une sorte de C.N.R.S., un centre de recherche généreusement subventionné par les Califes amoureux du savoir, et où des traducteurs auraient été payés pour faire passer à l’arabe les trésors de la science et de la philosophie grecques.

    La légende ne se nourrit que de soi ; rien de tout cela ne résiste à l’examen critique. La maison de la sagesse abritait bien une bibliothèque. Mais l’activité de tous les traducteurs que nous connaissons était commanditée par des clients privés, nullement par l’appareil d’État. Enfin, plus on remonte en arrière dans le temps, moins les chroniqueurs mettent en rapport l’activité de traduction avec cette fameuse maison[6].

    Il semble que l’institution en question n’avait rien à voir avec les traductions, ni même en général avec le savoir profane, d’origine grecque. Elle semble avoir été avant tout à usage interne, plus précisément une sorte d’officine de propagande en faveur de la doctrine politique et religieuse que soutenaient les Califes de l’époque, à savoir le mu‘tazilisme, lui aussi objet de bien des légendes.

    Rappelons en deux mots que les Mu‘tazilites étaient bien partisans de la liberté morale de l’homme comme indispensable pour penser la justice de Dieu qui ne peut récompenser et punir que des gens responsables de leurs actes. Mais n’oublions pas que, dans la pratique, ils ont lancé le pouvoir califal contre leurs adversaires en une campagne que bien des historiens nomment, au prix d’un anachronisme, « inquisition ».


    L’Andalousie

    Spoiler:
    Toute cette légende se replace dans le cadre d’un rêve rétrospectif, celui d’une société multiculturelle où aurait régné la tolérance. En particulier, l’Espagne sous domination musulmane (al-Andalus) aurait été la préfiguration de notre rêve d’avenir d’une société bigarrée de peuples et de croyances vivant en bonne intelligence. Le niveau culturel y aurait été fantastiquement élevé. Cela aurait duré jusqu’à la Reconquête chrétienne, laquelle aurait inauguré le règne du fanatisme, de l’obscurantisme, etc.

    Les lieux où coexistaient effectivement plusieurs ethnies et religions ont tous disparu. Certains, comme Alexandrie ou la Bosnie, l’ont fait assez récemment pour que le souvenir de ces échecs, sanglant dans le dernier cas, ne se soit pas encore effacé. Et ne parlons pas de l’Irak… L’Espagne musulmane, elle, est assez éloignée dans le temps pour que l’on puisse encore en idéaliser la mémoire. De plus, l’Espagne est, depuis le xvie siècle, le lieu idéal des légendes et des clichés. Cela a commencé par la « légende noire » sur la conquête du Nouveau Monde. Répandue par les plumitifs stipendiés par les rivaux commerciaux des espagnols et des portugais, dont la France, elle permettait à ceux-ci de légitimer leur piraterie d’État (dite « guerre de course »). N’insistons pas sur les poncifs « orientalistes » de Gautier et de Mérimée. Donc, pourquoi ne pas ajouter aux castagnettes et aux mantilles un al-Andalus rose ?

    Pour le dire en passant, il serait fort instructif de reconstituer les origines de ce mythe andalou, depuis l’américain Washington Irving en passant par Nietzsche.

    Un arabisant espagnol, Serafín Fanjul, s’est donné pour tâche de détruire cette légende et de montrer que les régions d’Espagne sous domination musulmane n’étaient ni plus ni moins agréables pour les communautés minoritaires que les régions chrétiennes. Des deux côtés, on constate discriminations et persécutions, le tout sur l’arrière-plan d’expéditions de pillage et de rapt. Plutôt que d’une coexistence (convivencia) harmonieuse, il s’agissait d’un système voisin de l’apartheid sud-africain[7]. Là aussi, rien qui soit nouveau pour les historiens qui ont de cette époque une connaissance de première main. Mais qui les lit ?


    Oublié ?

    Spoiler:
    A toutes ces légendes vient se superposer ce que l’on pourrait appeler une « métalégende », une légende sur la légende. Cet état de choses si éminemment positif aurait été oublié. Voire, il aurait été refoulé de la mémoire de l’Occident par un processus volontaire, dû à quelque complot obscurantiste. De la sorte, la boucle paranoïaque est bouclée : si l’on ne trouve pas de traces du passé tel qu’on l’imagine, c’est que ces traces ont été effacées…

    Mais est-ce bien vrai ? A-t-on jamais perdu de vue la contribution arabe au patrimoine culturel européen ? On parle à ce propos d’un « héritage oublié ». À ma connaissance, l’expression a été lancée par un livre de Maria Rosa Menocal, professeur de littérature comparée à Yale[8]. L’ouvrage portait surtout sur le domaine ibérique. Il montrait que les littératures de la péninsule ont emprunté genres et thèmes aux auteurs d’expression arabe. Ce qui est fort exact. Peu après, l’expression a été rendue populaire en France par un chapitre d’Alain de Libera qui portait ce titre et qui la transposait au domaine de la philosophie[9].

    Or donc, je me demande si la mention d’un « oubli », devenue depuis lors une sorte de slogan, ne serait pas un « coup de pub ». Car il faut poser au niveau de l’histoire la même question que celle que j’ai posée un peu plus haut à celui de l’actualité, celle du sujet à qui on attribue le savoir ou l’ignorance. En un mot : cet héritage a été oublié par qui ? L’homme de la rue ne l’a jamais oublié, pour la bonne raison qu’il ne l’avait jamais su. Mais les gens un peu cultivés ?

    Avec la « Renaissance » et le mouvement humaniste, il se produisit une réaction contre la scolastique et ses défauts prétendus : mauvais latin, subtilités, abstractions, etc. Elle engloba les arabes dans le mépris de ce qui n’était pas le platonisme et l’aristotélisme supposés « purs ». Mais il fut vite corrigé par les études précises produites par les générations d’orientalistes qui se sont succédées depuis le xvie siècle dans toute l’Europe : Guillaume Postel, Barthélemy d’Herbelot, Ignace Goldziher, et tant d’autres. Les érudits non orientalistes n’ont pas, eux non plus, oublié le rôle des Arabes. J’ai cité ailleurs deux textes du xviiie siècle qui le mentionnent. Et voici un passage d’Auguste Comte, trouvé au hasard de mes lectures : « Par une honorable transmission de la science grecque, la civilisation arabe figurera toujours parmi les éléments essentiels de notre grande préparation au Moyen Age[10] ».

    On ne cesse de répéter, pour s’en faire honte, des déclarations sur l’incapacité prétendue des « Sémites » à la pensée philosophique. À y regarder de plus près, elles sont en fait presque exclusivement localisées au xixe siècle, voire au seul Ernest Renan. Celui-ci a en effet appliqué à l’histoire de la culture ce racisme tranquille, et d’ailleurs encore relativement de bon ton par rapport aux horreurs du siècle suivant, que partageaient bien de ses contemporains : la philosophie serait essentiellement « aryenne », et jamais « sémite » ; les philosophes de l’Islam auraient tous été des Persans, etc.[11] Mais les naïvetés de Renan font-elles le poids face aux travaux imposants des orientalistes que j’ai nommés ?


    Des nuances

    Spoiler:
    J’en viens à l’aspect positif de mon propos, et tenterai une rapide synthèse de la question. Pour ce faire, je me permettrai de reprendre quelques résultats, évidemment provisoires, de deux de mes livres, auxquels je renvoie pour plus de détails[12].

    Commençons par rappeler un peu plus précisément la thèse de S. Gouguenheim. La contribution de la civilisation islamique à celle de l’Europe est réelle, et personne ne songe à la nier. Mais elle est moins exclusive que ce que certains voudraient nous faire croire[13]. La transmission directe à partir de l’Orient byzantin est plus importante qu’on ne l’a pensé. L’Europe latine n’a jamais cessé de loucher avec envie vers Constantinople. Un mince filet de savoir grec, venu d’Irlande ou de Byzance, a continué à irriguer l’Europe. En même temps qu’on traduisait Aristote de l’arabe, surtout en Espagne, on le traduisait directement du grec. Voire, avant. En particulier, S. Gouguenheim a attiré l’attention sur un personnage déjà connu, mais guère en dehors des cercles de spécialistes, Jacques de Venise, qui a traduit Aristote directement du grec au latin un demi-siècle avant les traductions sur l’arabe effectuées à Salerne, à Tolède, en Sicile, ou ailleurs (AMSM, p. 106-115).

    Ensuite, sérions les questions et trempons notre pinceau dans les diverses nuances du gris.


    La religion de l’islam

    Spoiler:
    Il faut distinguer du côté de l’émetteur : l’islam-religion ne coïncide pas avec l’Islam-civilisation. Celle-ci a été rendue possible par l’unification du Moyen-Orient : d’abord unification politique sous le pouvoir des Califes et, plus tard, unification linguistique au profit de l’arabe. Cette civilisation a été construite autant par le travail des chrétiens, juifs ou sabéens du Moyen-Orient, et par les zoroastriens ou manichéens d’Iran, que par les musulmans qui n’étaient au départ qu’une caste militaire conquérante. Ainsi, les traducteurs qui ont transmis l’héritage grec à Bagdad étaient presque tous chrétiens, le plus souvent nestoriens. Les rares qui ne l’étaient pas appartenaient à la petite communauté « païenne » des Sabéens, comme le célèbre astronome Thabit ibn Qurra[14].

    L’islam comme religion n’a pas apporté grand’ chose à l’Europe, et ne l’a fait que tard. Tout simplement parce qu’il n’y a été connu que tard. À la différence de Byzance, où le Coran avait été traduit dès le ixe siècle, l’Europe n’a connu le texte fondateur qu’après un long délai. La première traduction latine en fut faite à Tolède au milieu du xiie siècle sous l’impulsion de l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable. Mais elle n’a à peu près pas circulé avant d’être imprimée, tard dans le xvie siècle[15]. Le premier examen du Coran à la fois un peu sérieux et ouvert est l’œuvre du cardinal Nicolas de Cuse, au xve siècle[16].

    Parmi les traditions sur Mahomet (hadith), seul le récit merveilleux du « voyage nocturne » du Prophète au ciel (Scala Machumeti) est passé en Europe[17]. L’apologétique (Kalâm) fut connue surtout par la réfutation de son école dominante qu’effectue Maïmonide dans son chef d’œuvre philosophique et exégétique[18]. Elle a fourni à la physique d’Aristote une alternative discontinuiste (atomiste) qui fut exploitée par certains nominalistes, puis à l’époque moderne par Malebranche et Berkeley[19].


    La civilisation de l’Islam

    Spoiler:
    Sont venus de l’Islam comme civilisation deux sortes de biens culturels. D’abord, ceux qui ont transité par lui. Ainsi les chiffres dits « arabes », venus des Indes. Ou encore, ce qui d’Aristote ou d’Avicenne fut traduit à Tolède.

    Est venue aussi de l’Islam la contribution originale par laquelle ses savants prolongeaient et dépassaient l’héritage grec. C’est le cas en mathématiques, y compris l’astronomie et l’optique avec la révolution introduite par Ibn al-Haytham (Alhacen). C’est le cas en médecine avec Razi (Rhazès) et Avicenne. Et bien sûr en philosophie, avant tout avec, encore une fois, Avicenne, peut-être le plus novateur.

    La contribution des savants écrivant l’arabe est d’ailleurs loin de se limiter à ce qui a eu la chance de parvenir à l’Occident. Les travaux d’al-Biruni en géodésie, en minéralogie, etc., sans parler de l’exceptionnel miracle d’objectivité qu’est sa description de l’Inde, n’ont été connus qu’au xixe siècle[20]. En philosophie, al-Farabi n’a été que fort peu traduit au Moyen Age, et pas dans ses œuvres les plus originales de philosophie politique.

    Il y a des mathématiques (ou de la médecine, de l’alchimie, etc.) arabes en ce sens que des œuvres relevant de ces disciplines ont été composées dans la langue de culture de tout l’Empire islamique, par des gens dont l’arabe n’était pas toujours la langue maternelle, qui n’étaient que très rarement originaires de la Péninsule Arabique, et qui n’étaient pas non plus tous musulmans.

    En revanche, il n’y a pas de mathématiques musulmanes, pas plus qu’il n’y a une médecine chrétienne ou une botanique juive[21]. Il y a des gens de diverses confessions qui se sont occupés de diverses sciences. Même pour la philosophie, je préfèrerais parler d’un usage chrétien, juif ou musulman de la philosophie plutôt que d’une philosophie chrétienne, juive ou musulmane.


    Quoi ?

    Spoiler:
    Il faut distinguer aussi la nature de la marchandise : de l’héritage grec, seul est passé par l’arabe ce qui relevait du savoir en mathématiques, médecine, pharmacopée, etc. En philosophie, ne sont passés par l’arabe qu’Aristote et ses commentateurs, avec quelques apocryphes d’origine néoplatonicienne et eux-mêmes attribués à Aristote. Le reste a dû attendre le xve siècle pour passer directement de Constantinople à l’Europe, parfois sous la forme, réelle mais souvent un peu romancée, de manuscrits emportés par des savants byzantins fuyant la conquête turque.

    Ce reste, ce n’est rien de moins que toute la littérature grecque : la poésie épique (Homère et Hésiode), lyrique (Pindare), dramatique (Eschyle, Sophocle, Euripide), l’histoire (Hérodote, Thucydide, Polybe), le roman. En philosophie, c’est le cas des traités d’Épicure cités par Diogène Laërce. C’est celui de Platon, de Plotin, et aussi, hélas, d’« Hermès Trismégiste », arrivés de Constantinople à la Florence des Médicis, où Marsile Ficin mit ces trois corpus en latin.

    A plus forte raison, le legs théologique des Pères Grecs n’avait aucune raison d’intéresser les penseurs de l’islam. Il est entré en Europe, très partiellement d’ailleurs, en venant directement de l’Orient chrétien. Ce fut parfois par un transfert tout à fait matériel, comme ce manuscrit des œuvres du Pseudo-Denys l’Aréopagite, offert en 827 par le Basileus Michel III à l’empereur d’Occident Louis le Pieux, puis traduit par Hilduin, et à nouveau par Jean Scot Erigène, lequel traduisit aussi des morceaux de Némesius d’Emèse et de Maxime le Confesseur. Pour le reste, il fallut attendre, selon les cas, le xiiie siècle, ou la Renaissance, voire Erasme.

    N’oublions pas enfin que la culture ne se limite pas à ce qui se lit et s’écrit. Outre les textes, il y a les œuvres plastiques : architecture, sculpture, peinture. L’Islam, par scrupule religieux, n’a, avant une date récente, développé de sculpture et de peinture que par exception. La plastique grecque n’a donc pu exercer sur ses artistes la même fascination que celle que l’on rencontre en Occident. Tout ce qui relève des arts plastiques est passé du monde grec à l’Occident, la plupart du temps par l’intermédiaire de copies romaines, mais en tout cas sans détour arabe.


    Quand ?

    Spoiler:
    Il faut aussi varier selon les époques. S. Gouguenheim a choisi de se concentrer sur la période « où tout semble s’être joué, c’est-à-dire la première partie du Moyen Age, entre les vie et xiie siècles » (AMSM, p. 11). C’est là qu’il apporte du nouveau, sinon aux savants, du moins au grand public.

    En revanche, il a choisi d’arrêter son enquête au début du xiiie siècle, et il s’en explique à deux reprises. C’est d’abord pour une raison de méthode : « à partir du xiiie siècle, les faits sont trop bien établis pour qu’il vaille la peine de les reprendre » ; c’est aussi parce que l’évolution même des événements invite à un tel découpage : « au xiiie siècle, l’Europe amorce une nouvelle étape de son histoire » (AMSM, p. 11 -12, puis 199). Aucune des deux raisons n’est sans valeur. Reste qu’une présentation d’ensemble aurait permis de mieux équilibrer le propos.

    Le xiiie siècle et le début du xive siècles constituent en tout cas l’apogée de l’influence exercée sur les penseurs européens par les penseurs arabes, et avant tout par les philosophes. Toute une série de travaux font aller le balancier vers une réévaluation au positif de l’apport des penseurs de langue arabe, musulmans comme juifs. Ainsi, Kurt Flasch a synthétisé les résultats de ses collègues pour montrer comment Albert le Grand, Dietrich de Freiberg, et jusqu’à Maître Eckhart ont nourri leur pensée de la discussion avec les thèses d’Avicenne, de Maïmonide et d’Averroès. Ce dernier devant d’ailleurs être distingué de l’« averroïsme » plus ou moins fictif construit au Moyen Age par les théologiens, puis de nos jours par les historiens qui leur font trop facilement confiance[22].

    Comme toujours, on peut se demander si l’on ne risque pas d’aller d’un extrême à l’autre et de voir en Averroès, que l’on avait trop longtemps pris pour une simple tête de turc, tout juste bon à gésir vaincu sous les pieds d’un saint Thomas triomphant, la source exclusive de la pensée occidentale…

    Après la génération de Dante, de Duns Scot, et d’Eckhart, l’influence des penseurs arabes marque le pas dans les milieux de langue latine. Elle se prolonge plus longtemps chez les Juifs, où l’influence d’Averroès reste vive jusqu’au xve siècle, de sorte qu’une continuité s’établit avec les penseurs de Padoue.


    Combien ?

    Spoiler:
    Ne perdons pas non plus le sens des proportions. Le mince filet d’hellénisme passé à l’Europe jusqu’au xiie siècle sur lequel S. Gouguenheim a attiré l’attention n’est pas nul, mais il est peu de choses par rapport à ce qui a été traduit au xiiie siècle. À plus forte raison, il n’est pas comparable à ce qui était passé du grec ou du syriaque à l’arabe dans l’Empire Abbasside du ixe siècle.

    Mais ces trois transferts ne sont à leur tour qu’une goutte d’eau par rapport à l’inondation qui a déferlé sur l’Europe à partir du xve siècle. Elle a concerné tout ce qui était disponible en grec. Elle a débouché sur une véritable hellénomanie qui a duré plusieurs siècles, de la Renaissance italienne aux humanismes et classicismes de toute l’Europe, de Florence à Weimar en passant par Salamanque, Oxbridge, Leyde, Paris. Tout cet engouement littéraire s’appuyait sur un mouvement philologique, séculaire lui aussi, d’édition, de commentaire, de traductions.

    L’hellénisme n’a été en terre d’islam que le fait d’individus comme les « philosophes » (falâsifa), intellectuellement des génies, mais socialement des amateurs privés de relais institutionnel. Ce n’est qu’en Europe qu’il a pris la forme d’un phénomène, sinon de masse, du moins de vaste envergure, puisqu’il concernait l’ensemble de l’élite intellectuelle.

    Et pourtant, le phénomène capital n’est peut-être pas encore là. Pour ma part, je le situerais dans le fait que les érudits européens ne se sont pas contentés de traduire à partir du grec. Ils se sont, si l’on peut dire, avant tout « traduits » eux-mêmes vers le grec. Ce n’est qu’en Europe que l’on a appris le grec de façon systématique. Ce n’est qu’en Europe que, le plus concrètement du monde, le grec est devenu matière obligatoire dans l’enseignement secondaire—en gros, selon les pays, jusqu’au milieu du xxe siècle.


    De la réceptivité

    Spoiler:
    Il faut en finir avec la métaphore naïve de la transmission du savoir sur le modèle hydraulique, que je viens de filer avec un sourire : un liquide qui coulerait spontanément d’un niveau supérieur à un niveau inférieur, comme l’eau du château d’eau aux éviers. Le Socrate de Platon se moquait déjà d’une telle représentation de l’enseignement[23]. Le récepteur doit, pour pouvoir s’approprier le savoir, s’en être d’abord rendu capable, s’être rendu réceptif.

    Or donc, l’Europe a effectué, à partir du xie siècle, un énorme travail sur soi, à partir de ses maigres ressources propres : Cicéron, s. Augustin, Boèce, Isidore, quelques autres encore. Elle a connu, dans la foulée de la Querelle des Investitures, et pour étoffer conceptuellement les arguments de la papauté comme ceux de l’Empire, une renaissance juridique dont le monument principal, mais loin d’être unique, est le Décret de Gratien. Elle a connu une renaissance littéraire (s. Bernard) et philosophique (s. Anselme, Pierre Abélard). Le tout s’est fait avec les seuls « moyens du bord ».

    De plus, en même temps qu’elle mâchonnait les plus minces brins de l’héritage antique, l’Europe ruminait. Elle retrouva à l’intérieur d’elle-même ce qu’elle avait négligé, comme les compilations de droit romain auxquelles puisèrent les artisans de la renaissance juridique dont je viens de parler[24].

    C’est cet essor intellectuel qui a permis à l’Europe de ressentir le besoin du savoir grec, d’aller le chercher là où il était, et de le recevoir de façon féconde. De plus, en même temps qu’elle allait chercher au-dehors ce qui lui manquait du savoir grec, l’Europe est revenue sur ce qu’elle en possédait déjà, elle a retraduit ce qu’elle avait traduit de par le passé. Ainsi, les œuvres de Denys l’Aréopagite, qui firent l’objet d’une troisième traduction[25].

    L’appel à du savoir frais, latin, grec ou arabe, n’est donc pas seulement une cause de l’essor intellectuel européen ; il en est tout aussi décidément une conséquence.

    La réception même d’Averroès le montre : c’est en Occident chrétien et juif qu’il fut lu et commenté. Après la chute des Almohades qu’il servait, son milieu d’origine l’oublia très vite. On lit parfois dans la rubrique « faits divers » qu’un chiffonnier a trouvé un collier de perles fines dans des ordures. Il en est un peu ainsi d’Averroès : l’Occident a ramassé ce joyau dans les poubelles de l’Islam.


    Dette

    Spoiler:
    L’Europe a-t-elle une dette à l’égard du monde arabe ? Un tel vocabulaire est maladroit. J’ai utilisé moi-même cette image de la « dette », et je regrette maintenant de n’avoir pas été plus circonspect. L’ennui est, d’une manière générale, que les images que la langue met à notre disposition sont toutes piégées et qu’il faut bien quand même parler. Ainsi, parler de « racines », c’est régresser au végétal et, du coup, négliger les aspects volontaires de la culture qui, au moins en partie, se choisit ses points de référence ; parler de « sources », c’est fomenter le modèle hydraulique d’écoulement dont je viens de dire les méfaits.

    Dire « dette », dire « redevable », c’est aussi une façon de parler, et de rien de plus. Et prendre à la lettre ce qu’elle suggère aurait deux conséquences funestes.

    La première, psychologique, est que le mot de « dette » induit une culpabilité (qu’on pense à l’allemand Schuld, à la fois « dette » et « faute »). On flatte par là le sentiment diffus d’avoir à expier dont souffre l’Europe actuelle. Celle-ci a du mal à faire face à son passé, souvent entaché d’indéniables crimes, voire elle trouve dans l’évocation de ceux-ci une complaisance morose.

    La seconde conséquence est peut-être plus grave encore. Une dette est en rigueur de termes une réalité matérielle, mettons une somme d’argent. De plus il s’agit d’une chose dont le créancier a volontairement accepté de se défaire, s’en privant de la sorte pour en faire bénéficier le débiteur, et dont il attend qu’on la lui restitue. Parler de dette, c’est du coup suggérer que les biens concernés sont de nature matérielle. Or, il s’agit ici de biens spirituels, non d’objets. Et rien de ce qui vaut d’une dette ne s’applique aux choses de l’esprit. Les communiquer à autrui n’en prive pas celui qui les donne, lequel reste en leur possession : l’enseignement enrichit l’élève sans rien ôter au maître.

    Et même là où il est question de biens matériels, est-il vraiment juste de parler de dette ? L’Europe a pris dans d’autres civilisations des biens qui sont devenus pour elle des évidences. Ainsi sont venus de Chine la soie, le thé, la porcelaine, le papier—ce dernier transitant par le monde islamique. Ou le maïs, le tabac, le chocolat sont venus du Nouveau Monde. Or donc, personne ne songerait à dire que nous avons une dette envers les Aztèques, et encore moins que nous devons parler avec un infini respect des sacrifices humains qu’ils pratiquaient, sous prétexte que nous mangeons des tomates.

    Les choses sont un peu plus compliquées là où il s’agit de biens culturels. Leurs supports matériels—manuscrits, partitions, etc.—voyagent de la même façon que les valises. Mais leur contenu n’arrive vraiment à bon port qu’au prix d’un travail d’appropriation : lire, recopier, traduire, commenter, jouer, imiter, etc.

    La France a naguère restitué à la Corée un précieux manuscrit jadis confisqué ; les Anglais pourraient rendre les fresques du Parthénon. Mais doit-on et peut-on rendre l’écriture aux anciens Égyptiens, l’empire aux Perses, la philosophie aux Grecs, le droit aux Romains ?

    Et la rationalité ? A qui la rendre au juste ? La rationalité n’est pas un sac de patates que l’on pourrait transporter, importer et exporter, mais une attitude d’esprit qu’il faut conquérir par un travail sur soi.


    Rationalité

    Spoiler:
    Sur la rationalité, il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire. « Raison » est un mot-valise, voire une malle, que dis-je, un container…

    Ne cherchons nulle part au Moyen Age la forme de rationalité puissante, mais étroite, à laquelle nous réduisons souvent la raison, à savoir la méthode expérimentale des sciences mathématisées de la nature. Celle-ci n’est apparue qu’avec la révolution galiléenne au début du xviie siècle. Le Moyen Age n’a connu d’usage scientifique des mathématiques qu’en optique et en astronomie. Et encore celle-ci ne cherchait-elle que des modèles capables de rendre compte des apparences célestes (« sauver les phénomènes »), nullement de décrire la réalité des choses.

    On aurait tort d’opposer le christianisme comme religion rationnelle à l’islam qui serait, lui, irrationnel. Tout au contraire, l’islam se comprend lui-même comme une religion rationnelle, et il reproche même au christianisme de vouloir faire croire l’incroyable. Les dogmes de l’islam sont plausibles et ne comportent pas de mystères un peu bizarres comme le sont ceux du christianisme (Trinité, Incarnation, eucharistie, etc.). De plus, le Coran contient des injonctions à se servir de sa raison pour se rendre à l’évidence de l’existence du Créateur à partir de l’admiration des merveilles de la création, tous passages que les philosophes de l’Islam ont su mettre en valeur pour légitimer leur propre pratique[26]. Enfin, même ceux des juristes qui, en principe, se refusaient à faire du raisonnement analogique un des fondements du droit ont, dans la pratique, déployé des trésors de subtilité pour déduire à partir des principes offerts par la Révélation des règles susceptibles de s’appliquer aux circonstances concrètes de la vie quotidienne. En revanche, ce n’est pas de la raison que dépend le fondement même de l’islam, à savoir l’acceptation comme authentique de la mission législatrice de Mahomet et celle du Coran comme dictée divine.

    On a donc souvent, en matière de rationalité, l’impression de jouer à fronts renversés. Ainsi, Ibn Khaldun, que l’on peut pourtant considérer en matière de critique historique comme un « rationaliste » de haute volée, écrit posément : « Quand le Législateur nous guide vers une certaine perception, nous devons la préférer aux nôtres et lui accorder plus de confiance qu’aux nôtres. Nous ne devons pas chercher à la rectifier au moyen de la perception de la raison, même si elle la contredit. Au contraire, nous devons croire et savoir ce qu’il nous a été ordonné [de croire et de savoir], et nous taire sur ce que nous ne comprenons pas, en nous en remettant pour cela au Législateur et en laissant la raison à l’écart[27] ».

    On pourrait risquer un paradoxe : l’islam ayant d’emblée un contenu rationnel, il n’a pas connu le défi du mystère chrétien. Il a rendu nécessaire la théologie, laquelle procède à son exploration rationnelle avec l’aide d’outils empruntés à la philosophie. L’islam, de son côté, a pu se contenter d’une apologétique dirigée vers l’extérieur. La raison n’a pu prendre pour objet les fondements de la religion, et donc aussi du droit et de la morale. Elle a dû s’y contenter de déduire les conséquences de prémisses déjà admises. Ou alors, elle a dû se borner aux sciences qui ne touchaient que de très loin à la religion, comme les mathématiques.


    Conclusion

    Spoiler:
    L’affaire Gouguenheim aura eu au moins le mérite d’attirer l’attention d’un vaste public sur une question historique de grand intérêt. Elle était jusqu’alors, soit confinée aux monographies savantes, soit au contraire abandonnée aux bateleurs médiatiques qui en présentent des caricatures tendancieuses. Le livre de S. Gouguenheim, se plaçant sur le terrain de la bonne vulgarisation, se proposait de rectifier les secondes en puisant dans les premières. Il n’est pas l’ouvrage définitif et exhaustif dont on pourrait rêver. Mais tant que ce livre parfait restera au pays des rêves, celui de S. Gougenheim a l’avantage de contester quelques certitudes trop rapidement acquises.


    Sources:
    Spoiler:

    [1] S. Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel. Les Sources grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Seuil, 2008 [ici=AMSM].

    [2] Un épluchage de ce genre, dû à Max Lejbowicz (CNRS), est à paraître dans une revue savante. Il est déjà disponible sur Internet, http://crm.revues.org//index2808.html

    [3] Disponible sur Internet: www.Ma/eug/sections/speeches/full_text_of_king_s7700/view.

    [4] Le même discours rappelle que Maïmonide, un siècle et demi plus tard, a séjourné et étudié à Fez, alors capitale des Almohades. Mais le roi omet de signaler que c’était en se faisant passer pour converti à l’islam…

    [5] Pour du sérieux sur Gerbert/Sylvestre, voir P. Riché, Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an Mil, Paris, Fayard, 1987. Le mathématicien Léonard de Pise (Fibonacci) dit avoir étudié à Bougie. Mais c’est trois siècles plus tard… Sur lui, voir AMSM, p. 198.

    [6] Voir M.-G. Balty-Guesdon, « Le Bayt al-hikmah de Baghdad », Arabica, 29, 1992, p. 131-150 ; pour un état de la question, voir C. Martini Bonadeo, « Le biblioteche arabe e i centri di cultura fra ix e x secolo », dans C. d’Ancona (éd.), Storia della filosofia nell’islam medievale, Turin, Einaudi, 2005, surtout p. 263-270.

    [7] S. Fanjul, La quimera de Al-Andalús, Madrid, Siglo XXI, 2004, en particulier les ch. 2: Le mythe des trois cultures, p. 21-53 (la comparaison avec l’apartheid se lit p. 29) et 7 : Le rêve de al-Andalus, p. 194-247. Dans un livre antérieur, Al-Andalús contra España. La forja del mito, Madrid, Siglo XXI, 2000, Fanjul examinait la question de l’apport islamique à l’identité espagnole et concluait par une sérieuse révision à la baisse, en tout cas par rapport à certaines exagérations, dues en particulier à Américo Castro (La realidad histórica de España, Mexico, Porrua, 1954).

    [8] M.-R. Menocal, The Arabic Role in Medieval Literary History : A Forgotten Heritage, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1987.

    [9] A. de Libera, Penser au Moyen Age, Paris, Seuil, 1991, ch. IV, surtout p. 98-104.

    [10] A. Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme [1848], Conclusion générale ; éd. A. Petit, Flammarion, 2008, p. 536-537.

    [11] Renan, « L’islamisme et la science » [1883], dans Œuvres complètes, éd. H. Psichari, Paris, Calmann-Lévy, t. 1, 1947, p. 945-965.

    [12] Europe, la voie romaine, 3e éd., Paris, Gallimard (« Folio-essais »), 1999 ; voir surtout Au moyen du Moyen Age. Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme, Islam, 2e éd., Paris, Flammarion (« Champs »), 2008.

    [13] « L’intermédiaire arabe, sans être inexistant, n’eut sans doute pas la portée décisive qu’on lui attribue » (AMSM, p. 199, je souligne). La formule est minimale…

    [14] Sur le mouvement des traductions, voir la synthèse de D. Gutas, Greek Thought, Arabic Culture. The Graeco-Arabic Translation Movement in Baghdad and Early Abbasid Society (2nd-4th / 8th-10th centuries), Londres, Routledge, 1998.

    [15] Voir P. Kritzeck, Peter the Venerable and Islam, Princeton, Princeton University Press, 1964.

    [16] Nicolas de Cuse, Cribratio Alcorani, vers 1460.

    [17] Le Livre de l’échelle de Mahomet […], tr. G. Besson et M. Brossard-Dandré, Paris, Le Livre de Poche («Lettres Gothiques»), 1991.

    [18] Maïmonide, Guide des égarés, I, 71-76.

    [19] Voir D. Perler et U. Rudolph, Occasionalismus. Theorien der Kausalität im arabisch-islamischen und im europäischen Denken, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000.

    [20] Le livre sur l’Inde a été mis en français par V. Monteil. Mais, comme toutes les traductions de cet auteur, qui pratiquait généreusement la coupure non signalée, voire le pur et simple contresens, elle ne peut être utilisée qu’avec la plus extrême prudence.

    [21] Je songe au rire de G. Scholem sur le titre de la célèbre Flora der Juden d’Immanuel Löw ; voir Von Berlin nach Jerusalem. Jugenderinnerungen, Francfort, Suhrkamp, 1977, p. 220.

    [22] K. Flasch, Meister Eckhart. Die Geburt der „deutschen Mystik“ aus dem Geist der arabischen Philosophie, Munich, Beck, 2006. Traduction française chez Vrin, 2008 [non vidi]. Le titre un peu accrocheur réduit le propos du livre, qui envisage tout aussi bien Albert et Dietrich.

    [23] Platon, Banquet, 175d.

    [24] Voir H. Berman, Droit et révolution. La formation de la tradition juridique occidentale, tr. R. Audouin, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, 2002.

    [25] L’importance de ce retour à Denys a été soulignée par J. Ratzinger, La théologie de l’histoire de saint Bonaventure, tr. R. Givord, Paris, P.U.F., 2007 (2e éd.), p. 131 ; voir ma préface, p. 9-10.

    [26] Ainsi Averroès dans le fameux Traité décisif, et bien d’autres comme, deux siècles avant lui, al-Amirî, etc.

    [27] Ibn Khaldun, Muqaddima, VI, 26 ; éd. E. Quatremère, Paris, Didot, 1858, t. 3, p. 123, 2-6 ; je reproduis la traduction française de A. Cheddadi, Le Livre des Exemples, Paris, Gallimard (Pléiade), 2002, p. 970-971.



    Note: J'ai mis des spoilers pour chaque sujet afin de ne pas alourdir l'affichage et faciliter la lecture. J'avais chopé cet article sur passion histoire.
    Dernière modification par Genava55, 16-01-2011, 16h07.

  • #2
    Bon j'ai pas tout, tout lu, mais je pense que le problème, comme il a été déjà souligné dans un de tes articles, c'est juste la séparation entre les spécialistes, et même en soit l'enseignement spécialisé, et la masse éduqué par les médias. Mais bon, personnellement, j'en veux pas au médias, c'est pas leur faute si les gens sont assez débiles pour se toucher sur secret story chaque soir au lieu de regarder de temps en temps un bon documentaire sur la 5 ou lire un bon livre.
    De toute manière, à notre époque, c'est panem et circenses.

    Pour le reste, ca relève juste des "mythes" historiques récurrents, comme "César est le premier empereur" ect.
    Mais bon, j'avoue que quand je suis tombé la première fois sur un texte d'un auteur arabe parlant de l'imposition des dhimmi en al-andalus, ca m'a quand même bien choqué vu que j'étais habitué à entendre que c'était un havre de" tolérance". Bon c'est sur qu'en soit, à l'époque, c'était beaucoup mieux que, par exemple, la domination byzantine qui écrasait dans le sang les hérétiques.

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    • #3
      Pour ajouter une mince contribution, j'ai eu la chance d'avoir Sylvain Gouguenheim comme co-directeur de maîtrise, et je peux certifier qu'il n'a rien du noé-nazi décrit par certains médias, et, ce qui est plus scandaleux, par certains de ses collègues. J'ai été vraiment choqué par la campagne de dénigrement dont il a été l'objet.
      Après, de l'avis de mon ancien directeur de DEA, qui le connaît et l'estime, la fin de son bouquin part dans des considérations douteuses où il essaie d'évaluer et de comparer civilisation chrétienne et civilisation musulmane. Ce qui n'a rien à faire dans un livre d'histoire.
      Mais au vu des réactions virulentes qu'il a suscité, il a bien remis en cause quelques poncifs établis, et ce n'est jamais inutile.

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      • #4
        Envoyé par Faras Voir le message
        Bon j'ai pas tout, tout lu, mais je pense que le problème, comme il a été déjà souligné dans un de tes articles, c'est juste la séparation entre les spécialistes, et même en soit l'enseignement spécialisé, et la masse éduqué par les médias. Mais bon, personnellement, j'en veux pas au médias, c'est pas leur faute si les gens sont assez débiles pour se toucher sur secret story chaque soir au lieu de regarder de temps en temps un bon documentaire sur la 5 ou lire un bon livre.
        De toute manière, à notre époque, c'est panem et circenses.
        Mais si justement, c'est précisément de la faute des médias si les gens préfèrent Secret story à des émissions plus cultivatrices car c'est bien aux médias qu'incombe la tâche de la transmission et surtout de la retransmission du savoir. Les gens sont conditionnés à aimer ça, ils naissent presque en aimant ça. J'exagère beaucoup mais les classes basses, en gros, c'est ça. Me sautez pas tous dessus en me traitant de je-ne-sais-quoi c'est pas moi qui invente c'est Nietzsche et Marx, voir Humain, trop humain et la théorie de l'Inconscient social, respectivement. Bref on ne peut reprocher aux gens ce qu'ils sont, c'est plutôt à leurs prétendus entretenants d'oeuvrer à leur évolution. Nous ne sommes pas dans une époque "panem et circenses" ce qui supposerait que ce soit le peuple qui demande de lui-même mais une époque "pecunia maxima ex minimo tempore" ce qui conduit certaines classes de la population intéressées par le profit et seulement par cela à proposer des émissions abrutissantes engrangeant des bénéfices en touchant "là ou ça fait mal", c'est-à-dire que ces classes-là engagent des personnes particulièrement perspicaces qui ciblent vite ce qui fait vibrer "la masse", à savoir pour le cas de Secret story la jouissance du voyeur. (Eh oui on en revient toujours au sexe). TF1 est l'archétype de ce genre de société à audimat industriel, je citerai par exemple leur immonde émission de culture "le Grand quizz de France" qui se prétend émission de culture alors que les dix malheureuses questions posées à chaque candidat ne sont irrésistibles qu'aux incultes les plus désespérants, que ce soient les candidats eux-même (Versailles au XIXe siècle... Seigneur...) ou ceux qui regardent une main sur la télécommande l'autre dans le froc.

        Bref Faras t'as pas complètement tord mais à mon avis tu as fait le raisonnement à l'envers, à mon sens si la télé y compris TF1, M6 et les autres du top 10 proposaient de véritables émissions de culture et pas des émissions où on voit Victoria se faire peloter, les gens regarderaient et finiraient par "oublier" (je dirais même plutôt refouler dans leur inconscient jusqu'à ce qu'on fasse de nouvelles émissions du genre précédent, car on ne se débarrasse pas comme ça de sa nature .) lesdites émissions et s'accoutumeraient à ce qu'on leur propose.

        Le débat n'est pas nouveau, ce que je défends ici a ses défauts tels que l'éternel problème de l'éducation des masses: doit-on les forcer à s'améliorer au détriment du principe fondamental de liberté, ou les laisser dans leur Etat de légume au nom dudit principe?

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        • #5
          En même temps les émissions poubelle ne sont pas arrivées d'un coup, des petits malins ont testé, ça a marché, et ça s'est multiplié...On ne peut pas y voir une sorte de complot pour faire avaler aux gens de la...pourriture pour rester poli. Les chaînes de télé font ce qui marche, c'est aussi simple et cynique que ça. Si les gens ne s'étaient pas précipités en masse voir les premières émissions de télé réalité, on n'en entendrait plus parler. Et si la 5 ou arte faisaient des records d'audimat, tout le monde, y compris TF1, ferait dans le culturel. Après on peut déplorer que les chaînes ne se forcent pas à élever le débat, certes...

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          • #6
            Mon brave Nirnaeth, nous rentrons là dans une vaste question restée sans réponse depuis la nuit des temps: Qui est venu en premier? La poule ou l'oeuf?
            Premièrement, tes critiques seraient sans doute très bonne dans le cas ou il n'y aurait qu'a la télé QUE des émissions débilisantes. Or , c'est très loin d'être le cas, car Arte et la 5 présentent des émissions d'une grande qualité. De ce fait, on peut se demander, pourquoi, si le "peuple", je dirais plutôt la "masse" ( car peuple renvoie à populus, une certaine idée de citoyenneté et de souveraineté, alors que "masse" est déja plus négatif, je te renvoie à l'ochlocratie de Polybe), si, comme tu le prétends, a volonté de s'améliorer, pourquoi la 5 et Arte ne sont pas des chaines avec beaucoup d'audiences?
            Or, ce n'est guère le cas. Donc, il faut clairement et nettement mettre en cause les gens en tant que masse, plus qu'en tant qu'individu, a vouloir regarder ce genre de débilité. Prenons un exemple pour étayer mes dires: Quand je fût au lycée, une époque peu lointaine, les gens de ma classe, pourtant la meilleure du lycée sans fausse modestie, regardaient régulièrement Star Academy and co. Attention, non point pour l'intérêt " divertissant", mais juste parce que "tout le monde le fait". Allez donc dire que hier soir vous avez regardé " la vie des autres" sur Arte et vous ressortiez avec des moqueries du cours d'Svt. Heureusement qu'à la fac, entre "Kaloi Kagathoi" dirait Aristote, ce rapport s'inverse, et ceux qui regardent ce genre de débilités sont lapidés à coup d'huîtres.
            De ce fait, je pense qu'il est vraiment dangereux de mettre de coté la faute qui incombe aux individus et à la masse, car ils sont pleinement responsables, et ils veulent clairement s'abrutir, car sinon, Tf1 ne serait pas la première chaine de France, donc le " Panem et Circenses" est ici une bonne définition, rattaché à d'autres logiques de notre société actuelle ( le divertissement qui est au "centre de la cité" dirait Platon, ou le désintéressement des affaires politiques).
            Ensuite, il est vrai, et je te l'accorde, qui a une influence, grande même, de l'encadrement médiatique, qui surtout lors du plus jeune âge peut "débiliser" à vie une personne, si les parents sont des nuls.Mais si TF1 fait ce genre d'émission c'est qu'il y un public pour ce genre d'émission, sinon TF1 ferait des émissions plus "élevées", question de logique. Les chaines avec les émissions débiles ne font que répondre à la débilité de l'audience! Si demain Arte faisait 80% d'audience, toutes les autres chaines feraient des émissions comme arte...
            Donc nous revenons à ma première problématique, qui vient en premier, la poule ou l'oeuf? Le caractère débile des médias ou la débilité des gens?

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            • #7
              Moi je reste partisan de l'éducation de la IIIème, il n'y a que ça de vrai .

              Sinon, merci pour l'info Geneva, en effet tout ce débat - sans intérêt en lui-même, car les gens cultivés n'en retirent rien- est surtout révélateur d'un certain état d'esprit de certains occidentaux, qui placent l'idéologie au dessus de l'idée.

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              • #8
                Merci pour le texte, j'ai tout lu.
                Bon ça ne m'a rien appris de nouveau par contre. Il suffit d'ouvrir le premier livre d'Histoire venu sur le sujet pour avoir un minimum de culture là-dessus.
                M'enfin depuis que je sais lire je les enchaîne ces bouquins

                Pour Faras qui parle d'Arte, ça me fait rire, mais quand je rentre chez moi, j'aime bien mettre cette chaîne, des fois je tombe sur de ces reportages vraiment intéressant.

                Pour l'influence de la médiatisation :
                On en parlait justement l'autre jour avec Faras, une grande partie des gens ne font plus l'analyse (d'après moi) de ce qu'ils voient, ne cherchent pas à comprendre et "bouffe" les infos, mais Faras a préféré le terme de 'débilité'


                PS : On utilise toujours au CHU la cautérisation d'Abulcassis, mise au point en Andalus au IXème.
                De même pour la chirurgie de reconstruction nasale dite du lambeau indien, datant du ... IIIème BC !

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                • #9
                  Mon grand ami Faras, je crois bien discerner ici un grave problème: vous ne me semblez pas avoir saisi la portée de mes dires, ce qui est très inquiétant quant à mon expression.

                  Reprenons si vous le voulez bien:
                  on peut se demander, pourquoi, si le "peuple", je dirais plutôt la "masse" ( car peuple renvoie à populus, une certaine idée de citoyenneté et de souveraineté, alors que "masse" est déja plus négatif, je te renvoie à l'ochlocratie de Polybe)
                  Jusque-là nous sommes d'accord j'utilise aussi le terme de masse.

                  si, comme tu le prétends, a volonté de s'améliorer, pourquoi la 5 et Arte ne sont pas des chaines avec beaucoup d'audiences?
                  Zum Teufel, notre Seigneur ne vous a-t-il donc pas doté de la vue? Je me cite:
                  Bref on ne peut reprocher aux gens ce qu'ils sont, c'est plutôt à leurs prétendus entretenants d'oeuvrer à leur évolution. [...] (je dirais même plutôt refouler dans leur inconscient jusqu'à ce qu'on fasse de nouvelles émissions du genre précédent, car on ne se débarrasse pas comme ça de sa nature) .
                  La masse n'a justement pas envie de s'améliorer, c'est aux élites de la pousser à le faire. Hélas pour y parvenir un système pluraliste est à exclure, on ne peut proposer le mal et le bien à la fois si on veut faire adopter le bien exclusivement. Ce que je veux dire, c'est que si tu fais faire un régime à ton gosse, tu lui diras pas "mais dans le frigo ya des kinder pingoui MAIS SURTOUT NE LES MANGE PAS" car tu peux être sûr que le gosse s'en fera une orgie une fois que tu auras le dos tourné, (je ne suis pas le premier à prendre la métaphore de la masse vue comme un enfant). Si la 5 et Arte ne font pas bonne écoute, c'est parce qu'elles coexistent avec leurs opposants démoniaques.

                  Attention, non point pour l'intérêt " divertissant", mais juste parce que "tout le monde le fait". Allez donc dire que hier soir vous avez regardé " la vie des autres" sur Arte et vous ressortiez avec des moqueries du cours d'Svt.
                  Nous voici là dans une très belle phase de massification et de crise de groupe. Le problème, c'est que le plus souvent la négation de soi pour le groupe s'opère pour de purs stéréotypes infondés. Exemple: le foot. Dire qu'on aime pas le foot au collège c'est très mal vu, pourtant pas la moitié du collège apprécie réellement le foot. Je préfère l'exemple des collèges plutôt que ceux des lycées, car dans les lycées la plupart des lycéens justement ne feront pas partie de "la masse", c'est pour ça que si tes potes se foutaient de toi c'est par pure catharsis pas parce qu'ils le pensaient vraiment. Au collège non, beaucoup deviendront juste bons à être les ouvriers de Victoria II donc les moqueries sont plus "réelles".

                  Heureusement qu'à la fac, entre "Kaloi Kagathoi" dirait Aristote, ce rapport s'inverse, et ceux qui regardent ce genre de débilités sont lapidés à coup d'huîtres.
                  HAHA le fail c'est Platon les "Hoi kalloi kagathoi" pas Aristote. Bref ce que tu dis là m'inquiète un peu, car on assiste à une inversion des rôles et l'élite devient masse chez elle. C'est mauvais, le rôle de l'élite n'est pas d'écraser de sa supériorité la masse (à ce jeu-là cette dernière gagne toujours) mais d'essayer de combler le fossé entre les deux justement. Pourquoi ce n'est pas la masse qui s 'en charge? Tout simplement parce qu'elle en est incapable, et pourquoi en est-elle incapable? Parce qu'elle est aveugle. Sauf quand elle est oppressée, mais même dans ce cas de figure elle reste aveugle et frappe à tout-va. (pauvre Delauney dont la tête a été trimbalée dans tout Paris, lui qui n'avait rien a voir dans tout ça...)

                  De ce fait, je pense qu'il est vraiment dangereux de mettre de coté la faute qui incombe aux individus et à la masse, car ils sont pleinement responsables, et ils veulent clairement s'abrutir, car sinon, Tf1 ne serait pas la première chaine de France, donc le " Panem et Circenses" est ici une bonne définition, rattaché à d'autres logiques de notre société actuelle ( le divertissement qui est au "centre de la cité" dirait Platon, ou le désintéressement des affaires politiques).
                  Non non non, ils ne veulent pas s'abrutir dans le sens où ils font un choix délibéré en pesant soigneusement le pour et le contre, ils ne font que suivre l'instinct presque animal qui les guide sans s'en rendre vraiment compte, en tout cas dans le cas d'un ouvrier qui sait à peine écrire "exégèse", en rentrant chez lui, qui mettra un match de foot parce qu'il est prédestiné à ça d'une part et parce que, encore plus simplement, son niveau ne lui permet pas de suivre autre chose. Bon, il faut voir aussi le contexte social et familial: si c'est un fils d'ouvrier, petit-fils d'ouvrier, ayant vécu toute sa vie dans un coron, la première explication "marxienne" est justifiée, car le milieu ouvrier est presque héréditaire (on parlait de race ouvrière à une époque) mais si c'est un employé de bureau tout simple comme à la Poste, c'est du même acabit mais la première explication est erronée, seule la seconde est juste. Je ne sais pas si je suis clair, en bref la masse est composée de classes et de sous-classes très vastes et ce que je veux dire c'est que ça peut être "de la faute" d'un fils à papa qui avait tout pour faire de grandes études mais qui se faisait chier avec ça et qui préfère regarder Secret story, mais ça ne l'est pas dans le cas de l'ouvrier dans son coron. La masse n'est pas si homogène que cela. Tu parles de faute mais il n'y a pas de faute pour tout le monde même dans la masse.

                  Donc nous revenons à ma première problématique, qui vient en premier, la poule ou l'oeuf? Le caractère débile des médias ou la débilité des gens?
                  Je ne pense qu'on puisse envisager le problème comme cela car on ne trouverait jamais de réponse. Ce qui est sûr c'est que même avant les médias les masses étaient incultes, mais l'arrivée des médias, si elle a permis à certains de se hisser hors de la masse, ne l'a pas fait pour tout le monde (et j'ai envie de dire heureusement, que deviendrait la méritocratie si tout le monde était excellent?) et a permis aussi à tout un système d'exploitation de se mettre en place, pour manipuler (journaux et propagande) ou pour pomper (TF1, Monsieur Bouygues et ses yachts).

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                  • #10
                    De tout ça j'en retire l'impression qu'il ne faudrait proposer que du "bien" aux gens. Donc forcer les médias à faire des émissions intelligentes seulement. Peut-être ai-je mal interprété ta pensée, mais alors sinon quelle serait la solution?
                    Parce que comme tu le dis, et là tu n'as pas tort, la masse se précipitera toujours vers les émissions les plus idiotes. Les interdire alors? mais on se rapproche dangereusement du totalitarisme, si le pouvoir se charge de déterminer qu'est-ce qui est bon pour le peuple et qu'est-ce qui ne l'est pas.

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                    • #11
                      J'aime me citer:
                      Le débat n'est pas nouveau, ce que je défends ici a ses défauts tels que l'éternel problème de l'éducation des masses: doit-on les forcer à s'améliorer au détriment du principe fondamental de liberté, ou les laisser dans leur Etat de légume au nom dudit principe?
                      "mais on se rapproche dangereusement du totalitarisme, si le pouvoir se charge de déterminer qu'est-ce qui est bon pour le peuple et qu'est-ce qui ne l'est pas."
                      ---> Pas le pouvoir, les élites. Le pouvoir n'est pas toujours détenu par les élites. Quoi qu'il en soit lorsque le duel est engagé entre masse et élite, pour peu que la masse soit un minimum éduqué elle gagne toujours, voir le cas de la Grèce avec le Démotique qui supplante la langue administrative. C'est pour cela que pour respecter le principe de liberté fondamentale les élites doivent éduquer la masse et non la diriger avec un zeugma. Ca reste un rêve d'existentialiste pubère en manque de solidarité qui n'a pas encore lu Cioran...

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                      • #12
                        Je ne sais pas si je suis visé par la forme "existentialiste pubère", mais l'ensemble de ton post me semble assez obscur. Ca doit être la fatigue...Conclusion que proposes-tu? Bien sûr que les élites dovient éduquer la masse mais cas concret que peut un professeur, même très bien formé, et des plus savant, face à une classe gavée à la Star'Ac?

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                        • #13
                          Un idiot éduqué restera un idiot, et les émissions de télé réalité sont loin d'être l'unique apanage des classes moins éduquées (le problème étant cependant que les classes plus "pauvres" ont moins de recul vis à vis de ces émissions que les classes plus riches qui peuvent se servir de leur éducation...).
                          Donc penser que la "masse" sera un jour raisonnée c'est de l'utopie pure. Après que ce soit à la Bible comme au moyen-âge, aux idéologies comme au XIX et au XXè ou à la télévision que la "masse" carbure ça restera toujours un élément propre à lui même qui reflète plus ou moins sa société mais totalement incohérent sur bien des points.

                          Mais on dérive du sujet ?

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                          • #14
                            Envoyé par Blackader Voir le message
                            Je ne sais pas si je suis visé par la forme "existentialiste pubère", mais l'ensemble de ton post me semble assez obscur. Ca doit être la fatigue...Conclusion que proposes-tu? Bien sûr que les élites dovient éduquer la masse mais cas concret que peut un professeur, même très bien formé, et des plus savant, face à une classe gavée à la Star'Ac?
                            Non c'est moi l'existentialiste pubère :noel: Réponse à la question: comme je le dis, ce n'est que pure théorie. En pratique je considère que c'est peine perdue. Stil' a raison c'est pure utopie, voir Kant et l'Etat de droit qu'il considère lui-même comme utopique.

                            @Stilgar: Je n'aime pas le terme d'idiot pour qualifier la masse. Elle n'est pas idiote elle est masse c'st-à-dire un ensemble d'ignares plus ou moins ignorants. On trouve beaucoup d'individus à l'intelligence "brute" dans la masse, ils ne savent pas forcément disserter en thèse/antithèse/synthèse mais ça ne fait pas d'eux des imbéciles.

                            Après que ce soit à la Bible comme au moyen-âge, aux idéologies comme au XIX et au XXè ou à la télévision que la "masse" carbure ça restera toujours un élément propre à lui même qui reflète plus ou moins sa société mais totalement incohérent sur bien des points.
                            J'ai rien compris.

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                            • #15
                              Le terme idiot concernait ces idiots que tu trouves parmis les hautes classes sociales qui bien qu'éduqués n'en reste pas moins stupides, juste pour dire que l'éducation n'amène pas forcément l'intelligence, elle permet au minimum de limiter certaines tares.

                              Pour le passage non compris j'exprime simplement l'idée qu'au moyen âge la masse était matraquée avec les valeurs religieuses comme la bible en France, ensuite ce sont les idéologies dogmatiques (marxisme, libéralisme, socialisme, patriotisme...) qui ont été placardées sur les masses et actuellement ce sont les divertissements de masse (dont font partie ces émisions de télé réalité) qui jouent ce rôle.

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