Bonjour,
Je lance ce sujet parce que j'ai un peu de temps devant moi et que j'avais eu envie d'écrire une série de brèves sur ce thème il y a quelques mois. Je compte être un minimum sérieux mais ça ne doit pas empêcher de rebondir, que l'on ait lu les bouquins ou non, que l'on lise du Tolkien presque tous les mois ou non (
) d'autant que ma connaissance des romans de G.R.R. Martin n'est pas très poussée (j'ai lu une fois chaque roman -certains deux fois- et vu les quatre premières saisons). Il ne devrait pas y avoir de spoilers puisque je compte surtout parler de l'univers même si on peut évoquer la trame aussi (certains peuvent apporter leurs propres réflexions sous la même forme : ça pourrait donner une somme vachement cool) ! Mais de toute façon, série et livres coïncident plus ou moins aujourd'hui, pas trop de risque à ce niveau donc...
Mais d'abord pourquoi ce thème ?
La comparaison Seigneur des Anneaux/Trône de Fer a semblé évidente aux journalistes (et même aux universitaires) quant ils ont dû évoquer pour la première fois la série de HBO, quitte à mélanger l’œuvre de Tolkien et celle de Peter Jackson, citons par exemple Télérama :
« A côté de leurs tribulations, Les Rois maudits, de Maurice Druon, font figure de pique-nique entre Bisounours. Du sang, du sexe, le fracas des armes et le poison du pouvoir : ça se passe évidemment chez HBO, la chaîne câblée américaine qui ose tout. Y compris, comme ici, réinventer l'heroic fantasy. Pas de Hobbits, de Gobelins ou de gracieux Elfes. On est loin du Seigneur des anneaux, la référence du genre. Ici, la magie et les créatures qu'elle engendre existent bien, mais elles rôdent à la marge d'une aventure très politique... et très adulte. Dans la boue des batailles et la moiteur des alcôves, c'est un peu l'anti-Tolkien, le conte de fées sans fées de notre époque en crise. Dieux merci (oui, au pluriel : à Westeros, on en révère sept), tant de bruit et de fureur n'exclut pas le merveilleux. Au contraire. Histoire, géographie, légendes et traditions : ce monde-là est foisonnant, captivant, complexe ». (Cécile Mury ; 05/01/2013)
« Le Trône de fer est beaucoup plus réaliste qu'une œuvre comme Le Seigneur des anneaux. Elle s'apparente à des fictions comme Rome, Les Tudors ou Borgia, qui révèlent les dessous à la fois sordides et sexy des périodes historiques, et les côtés sombres de l'âme humaine ». (Anne Besson2)
« On n'est plus dans cette opposition du bien contre le mal, les gentils Elfes contre les méchants Orques comme chez Tolkien. Résultat, on peut plus facilement s'identifier à eux ». (Maxime Luitaud3)
Comme ces exemple le montre bien, en général quand on évoque l'un et l'autre c'est pour pointer leurs différences (la plupart du temps au détriment de l’œuvre de Tolkien et avec un certain mépris pour la culture geek « traditionnelle »). Avant d'aller blâmer Cécile Mury de ne pas partager notre amour du Moyen Âge et des dragons précisons que G.R.R. Martin a eu des critiques similaires pour l’œuvre de J.R.R. Tolkien. Lors d'une interview par exemple on peut l'entendre dire :
« Diriger, c'est dur. C'est peut-être ma réponse à Tolkien, quoique je l'admire beaucoup, avec qui je suis en désaccord. Le Seigneur des Anneaux a une philosophie très médiévale : c'est à dire que si le roi est bon le royaume sera prospère. Mais quand on regarde l'histoire les choses ne sont jamais aussi simple. Tolkien peut dire que Aragorn devint roi et régna pendant un siècle et qu'il était bon et sage. Mais il ne pose pas la question : Quelle était la politique fiscale d'Aragorn ? Est-ce qu'il maintenait une armée régulière ? Qu'a-t-il fait pendant les périodes d'inondations ou de famine ? Et qu'a-t-il fait de tout ces Orques ? A la fin de la guerre, Sauron est fini, mais tous les orques ne sont pas morts - ils sont dans les montagnes. Aragorn a-t-il poursuivi une politique génocidaire ? Les a t-il tous tués ? Même les petits bébés Orques dans leurs petits berceaux orques ? »4. (G.R.R. Martin)
Au delà des piques un peu assassines (et immérités : même si les appendices ressemblent à des chroniques médiévales Tolkien n'a jamais cherché à écrire un récit réaliste) ce qui me semble le plus important c'est l'affirmation selon laquelle A Song of Ice and Fire est en quelque sorte une « réponse à Tolkien ». Martin ne cache d'ailleurs pas son admiration pour Tolkien, voire sa jalousie (qui explique sans doute la citation plus haut), à commencer par l'usage similaire qu'il fait de ses initiales (qui montre qu'il a -consciemment ou inconsciemment- forcé les rapprochements). De fait on retrouve énormément de thèmes similaires parmi ceux qui fondent les deux univers à commencer par le thème central des deux œuvres : le pouvoir (vous me direz c'est le cas de pas mal d'ouvrages) ainsi que dans l'organisation de la narration (l'usage de différents protagonistes-narrateurs séparés les un des autres). J'en vois cependant plusieurs autres que je compte explorer (ou pas) dans les jours à venir et qui me paraissent plus intéressants à comparer qu'a simplement différencier comme beaucoup de commentaires se bornent à le faire :
- Deux relectures de l'histoire de l'Angleterre.
- La structure du récit dans Le Jeu de Trônes et Le Seigneur des Anneaux5.
- L'Orient, l'étranger et l'autre chez Tolkien et Martin.
- La monarchie "tolkiennienne" et "martinienne"5.
- La victoire des humbles.
1 - Je suis fils d'instituteurs et je vis à la campagne ce qui fait de moi l'idéal type du lecteur de Télérama... Hence les références. Précisons quand même que le magazine avait consacré un de ses numéros à la série et que c'est celui-là qui m'avait poussé à lire le livre.
2 - Elle développe plus longuement les différences qu'elle voit entre les deux dans cette interview du Monde.
3 - Fan de la série et organisateur de conventions.
4 - La traduction est mienne : Ruling is hard. This was maybe my answer to Tolkien, whom, as much as I admire him, I do quibble with. Lord of the Rings had a very medieval philosophy: that if the king was a good man, the land would prosper. We look at real history and it’s not that simple. Tolkien can say that Aragorn became king and reigned for a hundred years, and he was wise and good. But Tolkien doesn’t ask the question: What was Aragorn’s tax policy? Did he maintain a standing army? What did he do in times of flood and famine? And what about all these orcs? By the end of the war, Sauron is gone but all of the orcs aren’t gone – they’re in the mountains. Did Aragorn pursue a policy of systematic genocide and kill them? Even the little baby orcs, in their little orc cradles? ; Source : Shaun Gunner, George R.R. Martin asks: “What was Aragorn’s tax policy?”, The Tolkien Society.
5 - Je ne suis pas sûr d'être capable de traiter convenablement ces thèmes donc si vous avez des idées sur la question n'hésitez pas à vous lancer
Je lance ce sujet parce que j'ai un peu de temps devant moi et que j'avais eu envie d'écrire une série de brèves sur ce thème il y a quelques mois. Je compte être un minimum sérieux mais ça ne doit pas empêcher de rebondir, que l'on ait lu les bouquins ou non, que l'on lise du Tolkien presque tous les mois ou non (

Mais d'abord pourquoi ce thème ?
La comparaison Seigneur des Anneaux/Trône de Fer a semblé évidente aux journalistes (et même aux universitaires) quant ils ont dû évoquer pour la première fois la série de HBO, quitte à mélanger l’œuvre de Tolkien et celle de Peter Jackson, citons par exemple Télérama :
« A côté de leurs tribulations, Les Rois maudits, de Maurice Druon, font figure de pique-nique entre Bisounours. Du sang, du sexe, le fracas des armes et le poison du pouvoir : ça se passe évidemment chez HBO, la chaîne câblée américaine qui ose tout. Y compris, comme ici, réinventer l'heroic fantasy. Pas de Hobbits, de Gobelins ou de gracieux Elfes. On est loin du Seigneur des anneaux, la référence du genre. Ici, la magie et les créatures qu'elle engendre existent bien, mais elles rôdent à la marge d'une aventure très politique... et très adulte. Dans la boue des batailles et la moiteur des alcôves, c'est un peu l'anti-Tolkien, le conte de fées sans fées de notre époque en crise. Dieux merci (oui, au pluriel : à Westeros, on en révère sept), tant de bruit et de fureur n'exclut pas le merveilleux. Au contraire. Histoire, géographie, légendes et traditions : ce monde-là est foisonnant, captivant, complexe ». (Cécile Mury ; 05/01/2013)
« Le Trône de fer est beaucoup plus réaliste qu'une œuvre comme Le Seigneur des anneaux. Elle s'apparente à des fictions comme Rome, Les Tudors ou Borgia, qui révèlent les dessous à la fois sordides et sexy des périodes historiques, et les côtés sombres de l'âme humaine ». (Anne Besson2)
« On n'est plus dans cette opposition du bien contre le mal, les gentils Elfes contre les méchants Orques comme chez Tolkien. Résultat, on peut plus facilement s'identifier à eux ». (Maxime Luitaud3)
Comme ces exemple le montre bien, en général quand on évoque l'un et l'autre c'est pour pointer leurs différences (la plupart du temps au détriment de l’œuvre de Tolkien et avec un certain mépris pour la culture geek « traditionnelle »). Avant d'aller blâmer Cécile Mury de ne pas partager notre amour du Moyen Âge et des dragons précisons que G.R.R. Martin a eu des critiques similaires pour l’œuvre de J.R.R. Tolkien. Lors d'une interview par exemple on peut l'entendre dire :
« Diriger, c'est dur. C'est peut-être ma réponse à Tolkien, quoique je l'admire beaucoup, avec qui je suis en désaccord. Le Seigneur des Anneaux a une philosophie très médiévale : c'est à dire que si le roi est bon le royaume sera prospère. Mais quand on regarde l'histoire les choses ne sont jamais aussi simple. Tolkien peut dire que Aragorn devint roi et régna pendant un siècle et qu'il était bon et sage. Mais il ne pose pas la question : Quelle était la politique fiscale d'Aragorn ? Est-ce qu'il maintenait une armée régulière ? Qu'a-t-il fait pendant les périodes d'inondations ou de famine ? Et qu'a-t-il fait de tout ces Orques ? A la fin de la guerre, Sauron est fini, mais tous les orques ne sont pas morts - ils sont dans les montagnes. Aragorn a-t-il poursuivi une politique génocidaire ? Les a t-il tous tués ? Même les petits bébés Orques dans leurs petits berceaux orques ? »4. (G.R.R. Martin)
Au delà des piques un peu assassines (et immérités : même si les appendices ressemblent à des chroniques médiévales Tolkien n'a jamais cherché à écrire un récit réaliste) ce qui me semble le plus important c'est l'affirmation selon laquelle A Song of Ice and Fire est en quelque sorte une « réponse à Tolkien ». Martin ne cache d'ailleurs pas son admiration pour Tolkien, voire sa jalousie (qui explique sans doute la citation plus haut), à commencer par l'usage similaire qu'il fait de ses initiales (qui montre qu'il a -consciemment ou inconsciemment- forcé les rapprochements). De fait on retrouve énormément de thèmes similaires parmi ceux qui fondent les deux univers à commencer par le thème central des deux œuvres : le pouvoir (vous me direz c'est le cas de pas mal d'ouvrages) ainsi que dans l'organisation de la narration (l'usage de différents protagonistes-narrateurs séparés les un des autres). J'en vois cependant plusieurs autres que je compte explorer (ou pas) dans les jours à venir et qui me paraissent plus intéressants à comparer qu'a simplement différencier comme beaucoup de commentaires se bornent à le faire :
- Deux relectures de l'histoire de l'Angleterre.
- La structure du récit dans Le Jeu de Trônes et Le Seigneur des Anneaux5.
- L'Orient, l'étranger et l'autre chez Tolkien et Martin.
- La monarchie "tolkiennienne" et "martinienne"5.
- La victoire des humbles.
1 - Je suis fils d'instituteurs et je vis à la campagne ce qui fait de moi l'idéal type du lecteur de Télérama... Hence les références. Précisons quand même que le magazine avait consacré un de ses numéros à la série et que c'est celui-là qui m'avait poussé à lire le livre.
2 - Elle développe plus longuement les différences qu'elle voit entre les deux dans cette interview du Monde.
3 - Fan de la série et organisateur de conventions.
4 - La traduction est mienne : Ruling is hard. This was maybe my answer to Tolkien, whom, as much as I admire him, I do quibble with. Lord of the Rings had a very medieval philosophy: that if the king was a good man, the land would prosper. We look at real history and it’s not that simple. Tolkien can say that Aragorn became king and reigned for a hundred years, and he was wise and good. But Tolkien doesn’t ask the question: What was Aragorn’s tax policy? Did he maintain a standing army? What did he do in times of flood and famine? And what about all these orcs? By the end of the war, Sauron is gone but all of the orcs aren’t gone – they’re in the mountains. Did Aragorn pursue a policy of systematic genocide and kill them? Even the little baby orcs, in their little orc cradles? ; Source : Shaun Gunner, George R.R. Martin asks: “What was Aragorn’s tax policy?”, The Tolkien Society.
5 - Je ne suis pas sûr d'être capable de traiter convenablement ces thèmes donc si vous avez des idées sur la question n'hésitez pas à vous lancer
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